S03-P01-C25 Maladie de Whipple (Chapitre archivé)

S03-P01-C25 Maladie de Whipple (Chapitre archivé)

Médecine interne

LOÏC GUILLEVIN

Chapitre S03-P01-C25

Maladie de Whipple

Xavier Puéchal
ATTENTION : Les informations contenues dans ce chapitre sont susceptibles d’être obsolètes, il existe une version plus récente de ce chapitre.
Lien vers la mise à jour

Tropheryma whipplei

La maladie de Whipple est une infection bactérienne chronique, systémique et curable, due à Tropheryma whipplei. Dès sa description en 1907, Whipple mentionne l’existence de structures en forme de bâtonnet dans des vacuoles au sein des macrophages [10]. À partir de 1949, la coloration des tissus infectés par l’acide periodique de Schiff (PAS) permit de révéler des inclusions à l’intérieur des macrophages, compatibles avec des structures bactériennes ou leurs produits de dégradation (Figure S3-P1-C25-1). Dès 1952, l’antibiothérapie fut reconnue capable d’améliorer rapidement les symptômes et les anomalies biologiques. Enfin, en 1961, la microscopie électronique confirma la présence d’une espèce bactérienne intracellulaire, à Gram positif, dans le cytoplasme des macrophages. Le bacille est visible sous forme de bâtonnet et possède une paroi trilamellaire caractéristique, responsable de l’affinité au PAS.

Une amplification et un séquençage partiels du gène universel de l’acide ribonucléique ribosomique (ARNr 16S) de la bactérie furent réalisés en 1991. En 1992, l’amplification d’une séquence unique de bases d’ARNr 16S fut confirmée et poursuivie [9]. Cette séquence correspondait à celle d’un organisme non encore caractérisé qui fut dénommé Tropheryma whipplei. Les analyses phylogéniques suggérèrent que cet organisme était un actinomycète. La taxonomie moléculaire rapprocha T. whipplei des bactéries de l’environnement qui ont en commun le sol comme réservoir ou source de contamination pour l’homme.

Figure S03-P01-C25-1

Infiltration de la lamina propria et de la sous-muqueuse par des macrophages prenant la coloration rouge-violet avec l’acide periodique de Schiff. Biopsie duodénale. (Grossissement × 40.) (D’après Puéchal X. Whipple’s disease. Ann Rheum Dis, 2013, 72 : 797-803.)

Un couple d’amorces d’amplification et de séquence fut mis au point. Il permit un diagnostic moléculaire de cette infection. L’amplification génique (PCR ou polymerase chain reaction) en étendit le spectre clinique en permettant le démembrement et le diagnostic de formes extradigestives. Des atteintes oculaires ou purement cardiaques, neurologiques ou articulaires furent décrites [4].

Le premier isolement de la bactérie remonte à 1997. Cependant, aucune souche ne resta disponible et le travail ne put être répliqué. En 2000, D. Raoult et al. réussirent à isoler le germe sur une lignée de fibroblastes humains [7]. Depuis, de nombreuses autres souches furent obtenues à partir de différents prélèvements [4], [6]. L’isolement de T. whipplei permit de commencer à décrire sa sensibilité aux antibiotiques et de nouvelles méthodes diagnostiques indirectes (sérologie) [7] ou directes (immunomarquage) [8]. Il permit d’envisager la caractérisation fine de la bactérie.

Le séquençage de T. whipplei révéla un génome limité avec des capacités métaboliques réduites, cadrant bien avec un mode de vie restreint à l’hôte [6]. L’analyse du génome permit de déduire un déficit prévisible dans la biosynthèse des acides aminés. Ce déficit prévisible dans la biosynthèse des acides aminés fut mis à profit pour développer un milieu de culture axénique (non cellulaire) enrichi en acide aminé. Parallèlement, de larges régions d’ADN non codantes furent mises en évidence. Leurs variations pourraient être à l’origine d’une grande diversité de modifications des protéines membranaires susceptibles de permettre un échappement à la réponse immune habituelle de l’hôte. Plus d’une centaine de variants moléculaires de T. whipplei ont été progressivement rapportés, sans corrélation avec les manifestations cliniques [6].

Épidémiologie

Jusqu’à récemment, T. whipplei était considérée comme une bactérie rare à l’origine d’une maladie exceptionnelle. De récentes études ont montré que T. whipplei est une bactérie commensale et non un pathogène obligatoire. Il y a de rares porteurs sains définis par la positivité de la PCR dans les selles qui est estimée entre 1,5 % et 7 % dans la population générale [4]. Cette prévalence est même de 12 à 25 % chez les égoutiers. De même, T. whipplei est retrouvée dans 0,2 à 1,5 % des échantillons de salive de sujets sains. La prévalence a été évaluée de 0 % (0/342) à 0,26 % (1/380) dans les biopsies duodénales. La fréquence de positivité de la PCR dans le sang chez des donneurs de sang a été estimée à 1/174. La bactérie est également retrouvée par PCR dans 1,8 % des prélèvements de liquide synovial au cours d’arthrites de nosologie indéterminée chez l’homme sans maladie de Whipple avérée [5].

En plus des infections chroniques diffuses ou localisées, T. whipplei a été incriminée comme agent responsable, seul ou en association avec d’autres germes, d’infections aiguës pédiatriques comme surtout des gastro-entérites ou des épisodes fébriles transitoires, voire éventuellement de pneumonies chez l’adulte [6]. Ainsi est-il possible qu’une diarrhée aiguë chez un jeune enfant représente une primo-infection et que seuls un très petit nombre d’individus prédisposés génétiquement développent secondairement une authentique maladie de Whipple. Cela rendrait compte de la forte séroprévalence retrouvée chez les adultes apparemment sains (52 %) [6].

La situation épidémiologique est différente en Afrique de l’Ouest. Des études ont montré que l’ADN (acide désoxyribonucléique) de T. whipplei était détecté dans les selles chez 31,2 % des sujets sains et dans la salive chez 3,5 % des prélèvements. Chez des sujets présentant un accès fébrile transitoire sans diarrhée ni argument pour un paludisme, T. whipplei est détectée dans le sang par PCR dans 6,4 % des cas. La séroprévalence globale est de 72,8 % suggérant que plus de deux tiers des sujets pourraient avoir été infectés par T. whipplei. Ces données renforcent l’hypothèse d’une primo-infection avec séroconversion chez le jeune enfant à l’occasion d’une gastro-entérite et que la bactérie est ubiquitaire.

Il est possible que la porte d’entrée soit digestive. La possibilité d’isolement de la bactérie dans les prélèvements de selles des patients plaide pour une transmission fécale-orale. L’isolement récent à partir de salive permet aussi d’envisager une transmission interhumaine oro-orale.

La maladie de Whipple classique est rare. En 1987, W. Dobbins estimait que moins de 1 000 cas avaient été rapportés dans la littérature depuis sa description originale [1]. L’incidence de la maladie serait d’environ 0,5 à 1 cas par million d’habitants. L’infection paraît plus fréquente chez les agriculteurs et les professions qui s’y rapprochent. Quatre-vingt-six pour cent des patients sont des hommes et 97 % sont de peau blanche [1]. La maladie touche surtout l’homme d’âge moyen, avec un âge au début des symptômes articulaires de 40,3 ans en moyenne [6].

Pathogénie

Un terrain génétique est suggéré par la très forte prédominance masculine et l’association à l’antigène HLA-B27 ou à DRB1*13 et DQB1*06. Une susceptibilité génétique à la maladie est étayée par la dissociation entre l’apparente fréquente exposition à T. whipplei et le nombre infime de personnes développant une maladie de Whipple [6]. Enfin, la démonstration d’une rechute de maladie de Whipple à l’occasion d’une réinfection par une autre souche de T. whipplei représenta un autre argument pour évoquer une susceptibilité génétique. Ce facteur de susceptibilité semble assez spécifique de la réponse immune à T. whipplei dans la mesure où les patients ne développent pas d’autre infection en dehors d’une éventuelle lambliase.

Les mécanismes pathogéniques de la maladie de Whipple demeurent mal connus. T. whipplei a un tropisme intracellulaire pour les monocytes et macrophages. Sa persistance intracellulaire pourrait expliquer les rechutes tardives de la maladie. L’hypothèse d’un déficit de l’immunité cellulaire fut évoquée à de nombreuses reprises [1], mais reste discutée. Un déficit in vitro de la production d’interleukine 12, médiateur qui conduit à la production d’interféron γ par les cellules TH1, fut mis en évidence dans les cellules mononucléées circulantes. L’interleukine 16 est également nécessaire à la réplication de la bactérie en inhibant la fusion des phagosomes contenant T. whipplei et des lysosomes. La réplication de l’agent infectieux dans les macrophages va de pair avec une apoptose des cellules de l’hôte induite par T. whipplei qui pourrait être un mécanisme important de dissémination de la bactérie. À côté d’un phénotype activé particulier des macrophages infectés pouvant conduire à un état permissif, T. whipplei induit une robuste réponse interféron de type I qui est associée à la réplication bactérienne intracellulaire et est nécessaire à l’apoptose des macrophages. La nature primaire ou secondaire de ces anomalies reste discutée. Un mécanisme d’échappement à la phagocytose par le macrophage pourrait également faire intervenir la glycosylation de certains déterminants antigéniques de la bactérie. L’absence paradoxale ou le faible taux d’anticorps dans le sérum des patients atteints de maladie de Whipple pourrait être aussi en lien avec la glycosylation des structures antigéniques de la bactérie réalisée grâce à l’appareil enzymatique des macrophages infectés. En masquant ainsi ses propres antigènes, T. whipplei pourrait échapper non seulement à la phagocytose du macrophage, mais aussi à la réponse immunitaire humorale.

Manifestations cliniques

La maladie de Whipple est souvent diagnostiquée avec retard, en raison de sa rareté, de son large éventail de présentations cliniques et de l’existence de quelques formes sans signe clinique ni histologique d’atteinte intestinale [5].

Dans la forme historique classique, elle débute par une atteinte articulaire récurrente suivie, quelques années plus tard, par un amaigrissement et une diarrhée, diversement associés à d’autres manifestations cliniques, typiquement chez un homme d’âge moyen. Lorsque le diagnostic de maladie classique est posé, elle se caractérise habituellement par l’association diverse d’une diarrhée chronique, d’accès fébriles, d’un amaigrissement, d’adénopathies, d’une atteinte articulaire et, occasionnellement, de manifestations neurologiques, cardiaques ou oculaires [6]. À côté de cette forme classique diffuse rare, la bactérie peut être à l’origine d’autres affections chroniques localisées sans atteinte digestive histologique : endocardites, atteintes du système nerveux central, uvéites, arthrites, spondylodiscites [4]. Le diagnostic doit donc être considéré devant de nombreuses manifestations cliniques, même en l’absence des signes cardinaux de l’infection (Tableau S03-P01-C25-I) [6].

Tableau S03-P01-C25-I Circonstances cliniques au cours desquelles la maladie de Whipple doit être évoquée.

Arthrites intermittentes récidivantes inexpliquées

Polyarthrite chronique séronégative pour le facteur rhumatoïde, respectant les petites articulations

Diarrhée chronique

Fièvre prolongée inexpliquée

Manifestations neurologiques inexpliquées

Uvéite

Endocardite à hémocultures négatives

Mise en évidence d’un granulome épithélio-giganto-cellulaire non caséeux

Apparition de signes extra-articulaires (digestifs, cardiaques, neurologiques ou fièvre) au cours d’une polyarthrite traitée par biomédicaments

La présomption diagnostique est d’autant plus forte que plusieurs manifestations sont associées chez un homme d’âge moyen [6].

Manifestations articulaires

Une atteinte articulaire précède le diagnostic en moyenne de 6,7 ans (extrêmes de 0,3 à 38 ans) chez les trois quarts des patients [6]. Au total, elle survient chez plus de 80 % d’entre eux.

La plupart des patients présentent une atteinte articulaire intermittente, itérative et migratrice, oligo- ou polyarticulaire. Les poussées sont transitoires, avec une résolution ad integrum entre les crises. Les arthrites sont plus fréquentes que les arthralgies. L’atteinte articulaire touche surtout les grosses articulations. L’atteinte des petites articulations est beaucoup plus rare et jamais isolée. Une atteinte digestive associée, histologique ou par amplification génique, est retrouvée dans la très grande majorité des cas à ce stade. Néanmoins, dans quelques observations, même la détection digestive de T. whipplei par PCR reste négative.

Chez un homme d’âge moyen, la survenue d’épisodes intermittents de polyarthrite ou d’oligo-arthrite inexpliquée des grosses articulations doit conduire à envisager le diagnostic, même en l’absence de symptôme digestif (voir Tableau S03-P01-C25-I) [5], [6]. Cependant, T. whipplei ne paraît pas être fréquemment impliqué au cours des oligo-arthrites indifférenciées et des polyarthrites séronégatives de l’homme [5].

Figure S03-P01-C25-2

Polyarthrite destructrice au cours de la maladie de Whipple. Carpite fusionnante bilatérale et symétrique, ankylose carpométacarpienne et pincement radiocarpien bilatéral. Noter le respect des métacarpophalangiennes. (D’après Puéchal X, Fénollar F, Raoult D. Cultivation of Tropheryma whipplei from the synovial fluid in Whipple’s arthritis. Arthritis Rheum, 2007, 56 : 1713-1718.)

Bien que moins fréquente, une polyarthrite chronique est également possible [5], [6]. Pour l’immense majorité des patients, la polyarthrite respecte les petites articulations, est non destructrice et ne s’accompagne pas de facteur rhumatoïde. Des nodules sous-cutanés ont été rapportés. Quelques patients développent des destructions radiologiques qui sont le fait d’une évolution prolongée sans traitement (Figure S3-P1-C25-2). Elles correspondent à des arthrites septiquesT. whipplei a pu être isolée à partir de cultures de prélèvements articulaires [5]. Un pincement articulaire est possible avec des géodes sous-chondrales. L’évolution vers l’ankylose est tardive. Les lésions sont bilatérales et symétriques et souvent prises à tort pour celles d’une polyarthrite rhumatoïde séronégative (voir Figure S3-P1-C25-2). Si le diagnostic n’est pas fait, l’apparition, dans un deuxième temps, des symptômes gastro-intestinaux et de l’amaigrissement conduit au diag-nostic et à l’antibiothérapie [5]. L’amélioration articulaire est alors spectaculaire.

L’atteinte axiale est moins fréquente que l’atteinte périphérique. Elle s’accompagne souvent de manifestations articulaires périphériques. Des syndesmophytes, une ankylose des sacro-iliaques ou des articulations interapophysaires postérieures sont rapportés.

L’ostéo-arthropathie hypertrophiante est la plus rare des présentations articulaires.

T. whipplei a aussi été incriminée dans des infections de prothèse articulaire ou des spondylodiscites.

Manifestations digestives

Un amaigrissement et une diarrhée chronique font partie des signes cardinaux de l’infection classique. Plus de 85 % des patients présentent un amaigrissement qui peut être massif [1]. Dans les trois quarts des cas, l’interrogatoire note une diarrhée. Des douleurs abdominales ou des ballonnements peuvent s’y associer. Un saignement digestif occulte n’est pas rare. Une hépatosplénomégalie est possible avec une cholestase modérée.

L’endoscopie digestive haute peut être normale. Elle peut mettre en évidence des anomalies du duodénum ou du jéjunum. Des biopsies multiples systématiques s’imposent car les lésions peuvent être localisées. Un prélèvement est congelé d’emblée pour augmenter la sensibilité de l’étude ultérieure par biologie moléculaire.

Tableau S03-P01-C25-II Manifestations neurologiques centrales de la maladie de Whipple chez 84 patients [3].

Fréquence (%)

Troubles cognitifs

71

Ophtalmoplégie supranucléaire

51

Altérations du niveau de la conscience

50

Manifestations psychiatriques

44

Signes d’atteinte du motoneurone

37

Atteinte hypothalamique

31

Paralysie des nerfs crâniens

25

Myoclonies

25

Épilepsie

23

Myorythmies oculomasticatrices

20

Ataxie

20

Déficits sensitifs

12

Manifestations neurologiques

L’atteinte du système nerveux central représente la complication la plus sévère de la maladie. Les manifestations neurologiques révèlent la maladie dans 4 à 5 % des cas [1], mais surviennent à type de rechute au cours de l’évolution chez 10 à 20 % des patients [1]. En l’absence de traitement, une évolution fatale est possible en moins d’un mois [3]. Lorsque l’atteinte neurologique est symptomatique, 80 % des patients présentent des signes systémiques qui doivent faire évoquer le diagnostic [3].

Les manifestations neurologiques sont extrêmement diverses et souvent associées entre elles (Tableau S03-P01-C25-II) [3]. La maladie de Whipple peut mimer toutes les affections neurologiques ou presque. Les troubles cognitifs sont les plus fréquents [3]. Ils peuvent aller jusqu’à la démence qui est irréversible. Ils s’associent, chez la moitié des patients, à des manifestations psychiatriques. Un patient sur deux atteint de manifestations neurologiques présente une ophtalmoplégie supranucléaire avec une paralysie de la verticalité et, parfois, de l’horizontalité [3]. Cette atteinte s’accompagne souvent de troubles cognitifs. Les myorythmies oculomasticatrices sont pathognomoniques de la maladie de Whipple [3]. Une atteinte hypothalamique est possible. Une atteinte extrapyramidale, du système nerveux périphérique ou pseudo-myositique est très rare. En revanche, des accidents vasculaires cérébraux à répétition orientent vers une endocardite.

À part, une présentation neurologique isolée est décrite sans atteinte digestive. Une trentaine d’observations a ainsi été rapportée, avec une histologie digestive négative et une PCR le plus souvent négative des prélèvements digestifs [4].

Le pronostic de l’atteinte du système nerveux central reste sombre. La mortalité est supérieure à 25 % à 4 ans et un quart des patients gardent de lourdes séquelles. Les progrès diagnostiques et thérapeutiques récents pourraient avoir amélioré ce pronostic.

Soixante-dix pour cent des patients avec une atteinte neurologique centrale ont une biopsie de la muqueuse du grêle proximal qui permet le diagnostic histologique. Mais c’est parfois la répétition de l’examen qui conduit au diagnostic après une première biopsie négative [3]. C’est surtout au cours des atteintes neurologiques par rechute tardive après une antibiothérapie que les patients peuvent ne plus présenter de symptômes digestifs et que la muqueuse duodénojéjunale peut ne pas montrer la récidive des anomalies évocatrices de la maladie.

La tomodensitométrie et l’IRM (imagerie par résonance magnétique) sont non spécifiques. Ils objectivent une atrophie corticale d’intensité variable chez 42 % des patients avec une atteinte neurologique symptomatique [3]. Des anomalies focales en hypersignal en T2 sont parfois visualisées à l’IRM et, exceptionnellement, une hydrocéphalie. Des formations pseudo-tumorales intracérébrales, habituellement multifocales, sont décrites.

La fréquence élevée des lésions du système nerveux central dans les séries autopsiques (jusqu’à 91 %) a conduit à émettre l’hypothèse que tous les patients atteints de maladie de Whipple avaient une atteinte du système nerveux central, mais qu’elle ne s’exprimait que chez un petit nombre d’entre eux. Les données microbiologiques récentes viennent conforter cette possibilité avec, chez les patients asymptomatiques sur le plan neurologique, une forte prévalence (39 à 67 %) de la positivité de la PCR du liquide céphalorachidien et la possibilité de cultiver T. whipplei à partir du liquide céphalorachidien.

Manifestations oculaires

Les manifestations oculaires surviennent dans 4 à 27 % des cas [1]. Elles s’observent très habituellement chez des patients symptomatiques sur le plan articulaire, digestif et/ou neurologique. Une uvéite, une atteinte du vitré et une rétinite sont les plus fréquentes. Une hémorragie rétinienne, une choroïdite, un œdème papillaire, une atrophie optique, une kératite, une névrite optique, une pseudo-tumeur oculaire ou des dépôts cristallins intra-oculaires peuvent se rencontrer. Les uvéites méritent une place à part car elles peuvent révéler la maladie. Elles sont habituellement chroniques, bilatérales, antérieures ou postérieures. De plus, elles peuvent être isolées, sans aucun symptôme digestif, et s’accompagner d’une histologie duodénale non contributive, voire exceptionnellement d’une PCR digestive négative. Le diagnostic ne peut alors être fait que par PCR sur l’humeur aqueuse. T. whipplei a été isolée dans l’humeur aqueuse.

Manifestations cardiaques

Une péricardite est présente chez plus de la moitié des patients, mais elle est rarement mise en évidence du vivant du patient. Elle est exceptionnellement constrictive. Une myocardite est plus rare. Elle peut se révéler par une insuffisance cardiaque ou une mort subite. T. whipplei peut être visualisée par microscopie électronique sur une biopsie endomyocardique.

T. whipplei est responsable d’endocardites à hémocultures négatives. Il n’y a pas de fièvre ni d’argument évident pour un processus infectieux, mais souvent un long passé d’atteinte articulaire [6]. Le diagnostic de maladie de Whipple doit être systématiquement évoqué dans cette situation clinique. Plus d’une vingtaine de cas sont décrits avec une histologie digestive négative et une PCR habituellement négative de la muqueuse digestive [4]. L’identification de T. whipplei est réalisée par l’amplification du gène ARNr 16S à partir des valves atteintes. Un remplacement valvulaire est parfois nécessaire. Une série autopsique fait état de végétations de l’endocarde prenant la coloration par le PAS dans 79 % des cas. Parmi les patients opérés d’une endocardite infectieuse, T. whipplei représente le quatrième pathogène par ordre de fréquence (6,3 % des cas) et le germe le plus souvent en cause des endocardites à hémocultures négatives.

Manifestations pulmonaires

L’atteinte pulmonaire survient dans 30 à 40 % des cas [1]. Elle révèle exceptionnellement la maladie et est rarement au-devant de la scène. Un épanchement pleural ou des adénopathies médiastinales granulomateuses sont les plus fréquemment observés. Des nodules pulmonaires ou une pneumopathie infiltrante diffuse représentent des atteintes beaucoup plus rares.

Manifestations granulomateuses

Le diagnostic de maladie de Whipple doit être évoqué devant la découverte d’un granulome épithélio-gigantocellulaire non caséeux. Il s’observe dans 9 % des cas de maladie de Whipple [1]. Les granulomes ganglionnaires sont les plus fréquents. Ils sont décrits dans de nombreux autres tissus. La coloration par l’acide periodique de Schiff du granulome est négative dans 40 % des cas. La PCR sur le tissu granulomateux et la recherche d’une atteinte duodénale typique permettent le diagnostic.

Autres manifestations

La mélanodermie est classique dans les formes avancées de la maladie. Une hypotension, des œdèmes périphériques, une ascite ou une masse abdominale traduisent une forme évoluée. Des myalgies ont été décrites de même qu’une orchite, une panniculite et une néphrite granulomateuse. Une amylose associée a été rapportée dans quelques observations.

Examens biologiques

La vitesse de sédimentation et la protéine C réactive sont souvent élevées avant le traitement. Il n’y a pas de facteur rhumatoïde ni d’anticorps antinucléaires. Une anémie et une hyperleucocytose peuvent être rencontrées ainsi que les anomalies biologiques traduisant la mal-absorption.

Diagnostic

Dans la maladie de Whipple classique caractérisée par la présence d’une atteinte digestive histologique, les biopsies duodénojéjunales mettent en évidence une infiltration de la muqueuse par des macrophages spumeux prenant la coloration par l’acide periodique de Schiff (voir Figure S3-P1-C25-1). L’amplification génomique de T. whipplei par PCR spécifique à partir des prélèvements digestifs confirme le diagnostic. Une meilleure sensibilité diagnostique de la biologie moléculaire est obtenue sur des prélèvements tissulaires congelés, même si les biopsies fixées et incluses peuvent aussi être utilisées [9]. L’acide nucléique de la bactérie peut être détecté à partir de très nombreux sites de prélèvements confirmant la nature systémique de l’infection.

D’un autre côté, les patients avec des arthrites, une atteinte du système nerveux central, une uvéite, une endocardite ou une spondylodiscite peuvent être asymptomatiques sur le plan digestif et avoir un résultat histologique négatif des prélèvements du grêle proximal [6]. Chez la majorité d’entre eux, la PCR T. whipplei est positive à partir des prélèvements digestifs. Mais un résultat négatif de la PCR de la muqueuse du grêle proximal ne permet pas d’écarter le diagnostic de forme localisée de maladie de Whipple [4]. En cas de tableau atypique, il est recommandé de réaliser une PCR spécifique sur différents sites de prélèvements avec des amorces issues de deux gènes différents ou une PCR en temps réel pour éviter les faux positifs liés à une éventuelle contamination [4]. Selon la présentation clinique, l’acide nucléique de la bactérie peut alors être détecté par PCR à partir de prélèvements de tissu synovial, endocardique, cérébral, discal intervertébral, sur les liquides salivaire, articulaire, céphalorachidien, l’humeur aqueuse ou dans les selles [4]. L’amplification par PCR permet ainsi de confirmer le diagnostic des formes localisées de la maladie, en cas de forme atypique et/ou lorsque les données anatomopathologiques digestives ne sont pas concluantes.

La PCR pour détecter l’acide nucléique de la bactérie à partir de la salive et des selles fait maintenant partie des examens de première intention à visée diagnostique [6]. Quand la PCR est positive dans la salive, elle l’est aussi presque toujours dans les selles. Au cours de la maladie de Whipple classique, la PCR est positive dans 65 % des cas dans la salive et dans 92 % dans les selles. En revanche, dans les formes localisées de la maladie, la sensibilité est bien moindre : 36 % dans la salive et 64 % dans les selles. La vraie difficulté actuelle est de différencier un patient atteint de maladie de Whipple classique d’un porteur sain qui peut également avoir une PCR positive dans les selles et/ou la salive. Les sites de prélèvements doivent être multipliés en cas de doute diagnostique et cibler les atteintes cliniques. La place de la PCR sur une biopsie cutanée en peau saine semble intéressante dans cette circonstance. Elle était positive chez 84,6 % des patients dans une courte série.

La microscopie électronique, détectant la paroi bactérienne trilamellaire reconnaissable du bacille de Whipple, a une forte valeur diagnostique mais l’examen est chronophage et reste du domaine de quelques laboratoires spécialisés.

L’immunomarquage par immunohistochimie a rejoint l’arsenal des méthodes diagnostiques [8]. Il utilise des anticorps dirigés contre la bactérie pour confirmer sa présence. Il peut détecter T. whipplei dans les cellules mononuclées à partir d’un fragment tissulaire, du sang ou de l’humeur aqueuse. T. whipplei a pu être détecté par auto-immuno-histochimie avec l’utilisation des anticorps sériques anti-Tropheryma du patient.

La culture des prélèvements est fastidieuse et uniquement réalisée dans un objectif de recherche au sein de laboratoires hyper spécialisés.

L’absence paradoxale ou le faible taux d’anticorps dans le sérum des patients atteints de maladie de Whipple explique que la sérologie ne fasse pas partie de la stratégie diagnostique actuelle. Chez un patient avec une PCR positive dans les selles, une forte réaction immune par Western-blot est plutôt un argument en faveur d’un portage chronique que d’une authentique maladie de Whipple classique [6].

Traitement et évolution

Principes du traitement

La maladie de Whipple était toujours fatale avant l’ère de l’antibiothérapie. Les antibiotiques doivent avoir une bonne concentration intracellulaire et être efficaces sur le plan microbiologique. En cas d’atteinte du système nerveux central, ils doivent traverser la barrière hémato-encéphalique.

Une analyse par PCR du liquide céphalorachidien est préconisée avant l’instauration du traitement. L’isolement récent de T. whipplei par culture à partir du liquide céphalorachidien de deux patients asymptomatique sur le plan neurologique, dont l’un était en rémission digestive un an après l’arrêt d’une antibiothérapie, incite à une durée prolongée du traitement. En présence d’une anomalie clinique neurologique, la PCR dans le liquide céphalorachidien est positive dans 71 % des cas et peut le rester plusieurs années malgré une antibiothérapie. Malgré ses limites, la PCR du liquide céphalorachidien permet de documenter une infection du système nerveux central avant son expression clinique et surtout de vérifier sa négativation sous antibiothérapie avant d’interrompre le traitement.

Les recommandations de traitement ne reposent sur aucun essai thérapeutique de fort niveau de preuves [4], [6]. La thérapeutique habituellement recommandée était classiquement l’administration orale de cotrimoxazole (160 mg de triméthoprime et 800 mg de sulfaméthoxazole) de façon biquotidienne pendant 1 à 2 ans. Elle pouvait être précédée par une administration parentérale d’antibiotiques. En association au triméthoprime-sulfaméthoxazole, certains recommandaient une supplémentation en acide folique.

Le rôle de la corticothérapie reste discuté. Elle pourrait aggraver l’infection ou faire partie du traitement des formes sévères avec atteinte du système nerveux central ou syndrome de reconstitution immunitaire. Les immunosuppresseurs et les anti-TNF (tumor necrosis factor) sont délétères et à proscrire formellement [6]. Une aggravation peut survenir sous biomédicament et mettre en jeu le pronostic vital. Cette aggravation n’est pas toujours immédiate et survient en moyenne 26 mois après le début du traitement [6]. Au cours d’un tableau clinique articulaire compatible avec une infection à T. whipplei, l’apparition de signes viscéraux sous biothérapie (digestifs, cardiaques, neurologiques ou fièvre) doit faire rechercher la bactérie (voir Tableau S03-P01-C25-I).

Résistances acquises

Des résistances acquises sont décrites en cours de traitement par le triméthoprime-sulfaméthoxazole [3]. T. whipplei ne possède pas le gène de la dihydrofolate réductase, cible du triméthoprime, et est ainsi résistant, de façon intrinsèque in vitro, au triméthoprime. Les résistances peuvent être dues à des mutations du gène codant une synthétase cible du sulfaméthoxazole. Le taux de rechute clinique est compris entre 9 et 15 % dans les études récentes [6]. Du fait de l’inefficacité du triméthoprime et de la documentation de résistances au sulfaméthoxazole, l’abandon du triméthoprime-sulfaméthoxazole semble justifié pour un traitement ayant fait la preuve de son efficacité sur le plan microbiologique.

Recommandations thérapeutiques en l’absence d’atteinte neurologique

L’association de l’hydroxychloroquine, dont l’efficacité pourrait passer par l’alcalisation des vacuoles des phagosomes, et de la doxycycline est la seule association bactéricide in vitro. Elle représente l’association à administrer en première intention dans les formes sans atteinte neurologique (absence de signe clinique neurologique et négativité de la PCR dans le liquide céphalorachidien) [4], [6]. Cependant ce traitement, fondé sur les données microbiologiques, devra être évalué [4], [6]. Des rechutes ont été rapportées.

Recommandations thérapeutiques en présence d’une atteinte neurologique

En cas d’atteinte neurologique clinique ou de positivité de la PCR dans le liquide céphalorachidien, l’association triméthoprime-sulfaméthoxazole, qui est en fait une monothérapie exposant à des résistances, doit être abandonnée au profit de la sulfadiazine, d’autant que la sulfadiazine est aussi efficace in vitro que le sulfaméthoxazole, a une meilleure pénétration dans le liquide céphalorachidien, une plus longue demi-vie et des taux plasmatiques plus importants [6]. En cas de forme neurologique, une association hydroxychloroquine-cyclines-sulfadiazine est ainsi proposée mais cette combinaison méritera également être évaluée [4], [6].

Évolution

Grâce au traitement antibiotique, l’amélioration clinique et biologique est souvent rapide [6]. En revanche, les manifestations neurologiques centrales répondent mal à l’antibiothérapie. L’amélioration neurologique est souvent beaucoup plus tardive et moins prévisible que celle des atteintes d’autres organes.

La PCR est probablement utile pour suivre la réponse au traitement. Une positivité persistante de la PCR du liquide céphalorachidien incite à poursuivre ou à intensifier l’antibiothérapie. Une positivité persistante de la PCR de la muqueuse duodénale pourrait être associée à un plus fort taux de rechute et inciter à poursuivre l’antibiothérapie. On insiste actuellement sur des durées de traitement prolongées au moins deux ans, et même plutôt à vie.

Syndrome de reconstitution immunitaire

Après une amélioration clinique transitoire sous antibiothérapie adaptée, l’apparition de manifestations, au premier rang desquelles une fièvre et des arthralgies, peut être en rapport avec un syndrome de reconstitution immunitaire [2]. Ce syndrome survient chez 2 à 10 % des patients et particulièrement chez ceux ayant reçu auparavant un traitement immunosuppresseur [2]. La recherche de T. whipplei par PCR est négative. Après l’exclusion d’une autre cause infectieuse, l’instauration rapide d’une corticothérapie pourrait être bénéfique [2]. En cas d’échec, la thalidomide peut être efficace.

Rechutes

Malgré ce protocole thérapeutique, des rechutes restent possibles sous traitement ou surtout à distance de l’arrêt de l’antibiothérapie.

Le délai moyen entre le diagnostic et la rechute est de 4,2 ans [6]. Les rechutes affectent avec prédilection le système nerveux central et plus rarement le cœur. En cas de rechutes neurologiques survenant sous triméthoprime-sulfaméthoxazole, le céfixime a montré une certaine efficacité et peut donc être prescrit. Le pronostic reste néanmoins réservé. L’interféron γ a été proposé dans une forme sévère et récidivante après plusieurs lignes d’antibiotiques avec un certain résultat à court terme.

Conclusion

Il faut donc savoir évoquer le diagnostic devant un tableau compatible avec une infection à T. whipplei afin de permettre un diagnostic plus précoce pour diminuer la morbidité et, peut-être, la mortalité de cette maladie curable, mais encore souvent fatale en cas de retard au diagnostic et/ou de formes systémiques étendues.

Bibliographie

1. DOBBINS WO 3rd. Whipple’s disease. Springfield, Charles C. Thomas, 1987.
2. FEURLE GE, MOOS V, SCHINNERLING K et al. The immune reconstitution inflammatory syndrome in Whipple disease: a cohort study. Ann Intern Med, 2010, 153 : 710-717.
3. LOUIS ED, LYNCH T, KAUFMANN P et al. Diagnostic guidelines in central nervous system Whipple’s disease. Ann Neurol, 1996, 40 : 56156-56158.
4. PUÉCHAL X, FÉNOLLAR F, RAOULT D. Whipple’s disease. N Engl J Med, 2007, 356 : 55-66.
5. PUÉCHAL X, FÉNOLLAR F, RAOULT D. Cultivation of Tropheryma whipplei from the synovial fluid in Whipple’s arthritis. Arthritis Rheum, 2007, 56 : 1713-1718.
6. PUÉCHAL X. Whipple’s disease. Ann Rheum Dis, 2013, 72 : 797-803.
7. RAOULT D, BIRG ML, LA SCOLA B et al. Cultivation of the bacillus of Whipple’s disease. N Engl J Med, 2000, 342 : 620-625.
8. RAOULT D, LA SCOLA B, LECOCQ P et al. Culture and immunological detection of Tropheryma whippelii from the duodenum of a patient with Whipple disease. JAMA, 2001, 285 : 1039-1043.
9. RELMAN DA, SCHMIDT TM, MAC DERMOTT RP, FALKOW S. Identification of the uncultured bacillus of Whipple’s disease. N Engl J Med, 1992, 327 : 293-301.
10. WHIPPLE GH. A hitherto undescribed disease characterized anatomically by deposits of fat and fatty acids in the intestinal and mesenteric lymphatic tissues. Bull Johns Hopkins Hosp, 1907, 18 : 382-391.
Toute référence à cet article doit porter la mention : Puéchal X. Maladie de Whipple. In : L Guillevin, L Mouthon, H Lévesque. Traité de médecine, 5e éd. Paris, TdM Éditions, 2018-S03-P01-C25 : 1-6.