S02 Éthique médicale

S02 Éthique médicale

S02

Éthique médicale

 

Alain Cordier

Coordonnateur

Comité national d’éthique, Paris

La médecine est indissociablement liée à la connaissance, à la science et à la recherche. Chaque acte médical, chaque décision chirurgicale et chaque geste de soin reposent sur un vaste ensemble évolutif de recherches fondamentales et cliniques et sur un acquis de connaissances, de compétences et d’expériences pratiques.

Et il y a peu d’approche aussi humaniste que la médecine, dont la vocation est d’accompagner les blessés de la vie, de soulager leur souffrance, de préserver la vie, la santé et le bien-être. Ce dont témoigne l’engagement quotidien des médecins et soignants, auprès de toutes et tous, et plus particulièrement encore auprès des plus pauvres, des plus démunis, en France et hors de France.

Pourtant, comme toute entreprise humaine au service des autres, la médecine nécessite en permanence, pour répondre à sa vocation même, d’être soumise à un questionnement constant.

Ce n’est pas d’une attention bienveillante, venant comme un bonus à l’exercice de la recherche ou de la clinique, dont il s’agit, c’est d’un questionnement éthique permanent. Faute de celui-ci, la culture médicale ne peut en effet que devenir une culture d’activisme, encouragée par la prime à la seule évaluation quantitative et technique, où par exemple maintenir à tout prix l’espoir sur une énième ligne de chimiothérapie apparaît préférable au respect d’une qualité de vie pour le temps qui reste, respectueuse des souhaits du malade.

Nous voici en réalité au cœur de la clinique lorsque se confrontent l’exigence d’une médecine qui veut sauver et l’exigence d’une médecine qui doit, avec discernement, savoir écouter, dialoguer et « lâcher prise ». Nous voici au cœur de la médecine lorsque l’ultime de la réflexion est de comprendre que l’acte médical est fondé avant tout sur un mouvement vers l’autre, une reconnaissance de l’autre, une mise au service de l’autre.

La médecine ne peut pas, à elle seule, déterminer ses finalités. Elle doit le faire en prenant en compte le point de vue de la personne malade, de la personne en situation de handicap, des associations de patients et de personnes handicapées, et de la société dans son ensemble. La démarche éthique ne prend son sens que si elle s’inscrit dans une délibération ouverte, qui inclut tous.

La médecine n’est pas d’abord dans son pouvoir mais dans sa responsabilité. Parler de responsabilité, c’est laisser venir au jour le retournement des certitudes confortables et du pouvoir sécurisant que provoque le visage de celui qui souffre. Le sens de la médecine se révèle en cherchant du côté d’une « in-quiétude éthique », d’une impossible quiétude du savoir, du vouloir, du pouvoir.

L’éthique n’est ni un ornement ni une contrainte. L’éthique n’est ni le retour aux formules incantatoires des médecins des pièces de Molière, ni l’expression d’un ordre moral. L’éthique est le cœur de tout acte de prévention, de soin et de traitement médical ou chirurgical. Elle n’est pas complémentaire de celui-ci mais son essence. Car toute démarche médicale est toujours plus complexe qu’il n’y paraît et ne peut jamais se réduire à un échange scientifique que la compassion viendrait seulement encadrer. D’autant plus que les questions de santé dépassent largement la médecine.

La réflexion éthique donne sens à la science, à la technique, aux algorithmes. Mais plus encore, c’est par elle que vient au jour la qualité ultime de la clinique, de la recherche diagnostique et de la décision thérapeutique. C’est dans ce sens que l’on peut dire que l’in-quiétude éthique est fondatrice de la médecine.

Mieux soigner grâce à l’inscription des compétences dans une relation d’humanité

Soigner autrui, c’est bien sûr lui faire bénéficier du corpus de connaissances et de compétences que permet la médecine. Mais cet apport sera insuffisant sans une grande capacité d’empathie et de sympathie, d’écoute et de discernement.

Soigner autrui, c’est se mettre au service de la personne, lui donner toute sa place, l’informer le plus clairement et le plus honnêtement possible, respecter à la fois son droit de savoir et son droit de ne pas savoir, et lui donner, à chaque fois qu’elle le souhaite, la possibilité de choisir, et respecter ses choix. Mais même cela ne suffit pas. Il faut de l’humilité sans démission, de l’intérêt pour l’autre sans fusion, une ouverture au dialogue, un sens de la responsabilité.

Depuis Hippocrate, la médecine répond du devoir de soins, c’est-à-dire d’une obligation de moyens. Mais un principe de précaution mal compris et une forme d’exigence « consumériste » réunis affectent cette idée même de responsabilité.

Une stratégie fondée sur la seule précaution, multipliant les examens inutiles, sans examen clinique approfondi, sans dialogue et sans proposer la voie diagnostique ou thérapeutique la mieux adaptée, dans la seule crainte d’une plainte en justice, constitue une dérive grave pour la médecine.

C’est d’autant plus regrettable que la prévention – forme première de la précaution – est le parent pauvre de notre système de santé, dont le budget public, l’un des plus élevés au monde, consacre plus de 97 % de ses dépenses aux traitements et aux soins et moins de 3 % à la prévention des maladies.

L’éthique est donc là, dans la façon de se poser la question du sens du métier de soignant. Elle est dans la conscience permanente que la souffrance du malade, si elle reste inaccessible, doit néanmoins toujours être prise en compte, et que plus la technique envahit la médecine, plus la vérité de la personne lui échappe, plus la personne disparaît derrière la maladie.

Deux principes majeurs apparaissent alors :

– le savoir absolu n’existe pas, l’incertitude disputera toujours la première place à la certitude, l’impuissance à la puissance ;

– le respect du malade conduit toujours à le considérer et à le traiter comme une personne.

Déontologie et éthique

La déontologie crée une obligation réglementaire d’application de règles auxquelles tout praticien doit se conformer.

Ainsi, le Code de déontologie médicale dit dans son article 2 que « le médecin, au service de l’individu et de la santé publique, exerce sa mission dans le respect de la vie humaine, de la personne et de sa dignité », dans son article 37 qu’« en toute circonstance, le médecin doit s’efforcer de soulager les souffrances de son malade, l’assister moralement et éviter toute obstination thérapeutique dans les investigations et la thérapeutique », et dans son article 38 que « le médecin doit accompagner le mourant jusqu’à ses derniers moments, assurer par des soins et mesures appropriées la qualité d’une vie qui prend fin afin de sauvegarder la dignité du malade et réconforter son entourage ».

L’expertise médicale et en santé publique ainsi que la formation initiale et la formation continue doivent répondre aux principes d’impartialité, de transparence, de pluralité et du contradictoire. Les liens d’intérêts peuvent susciter des conflits d’intérêts. C’est pourquoi la loi a rendu obligatoire une déclaration publique d’intérêts de toute nature lorsque la mission demandée, notamment l’expertise sanitaire, l’exige, afin de permettre une appréciation collective et une vérification indépendante de l’existence ou de l’absence de conflit d’intérêts au regard de cette mission.

L’éthique de son côté pose la question des choix dans les situations qui ne sont jamais simples, où surgissent non seulement des conflits d’intérêts, mais aussi des conflits de valeur en termes différentiels d’exigence. L’éthique est avant tout destinée à ce que les problèmes ne soient pas esquivés au nom des règles et des contingences de tous ordres.

Autant il peut y avoir des règles déontologiques, autant il ne peut y avoir de règles éthiques. Car une fois les textes respectés, les questions commencent.

Par exemple, si le consentement libre et informé d’un malade – ou plutôt son choix libre et informé – est d’ordre déontologique, son sens et le processus qui y conduit sont d’ordre éthique car, justement, la réflexion éthique s’interroge sur la meilleure façon de rendre possible et d’accompagner un choix ou un consentement.

Mais s’il n’y a pas de règles éthiques, il y a des conditions nécessaires à l’exercice de la réflexion éthique : non seulement la déclaration des liens d’intérêts et une appréciation indépendante de l’absence de conflits d’intérêts, mais aussi l’inscription de la réflexion dans une démarche collective, ouverte sur la société au-delà du seul champ de la biologie et de la médecine, et impliquant les associations de patients et de personnes en situation de handicap et de perte d’autonomie.

Éthique médicale et bioéthique

L’éthique médicale est une exigence de réflexion et de comportement des médecins et soignants au service de la personne. Exigence indéfiniment renouvelée et questionnée, fondée sur la sollicitude et la responsabilité.

La bioéthique est une réflexion transdisciplinaire – impliquant non seulement des biologistes, des médecins et des soignants, mais aussi des philosophes, des juristes, des anthropologues, des sociologues, des économistes, des psychologues, des personnes choisies uniquement en raison de leur appartenance à la société, etc. –, fondée sur le questionnement qu’ouvrent les conflits de valeurs suscités par le développement des sciences et des techniques dans le domaine du vivant.

Mais les deux termes ont des champs d’application voisins, d’où des débats sémantiques plus vains qu’utiles et qui se résolvent parfois par le concept d’« éthique biomédicale », sachant qu’au total le point commun est :

– d’une part, le respect de la personne, en deux champs de réflexion différents, problématique générale d’un côté (bioéthique ou santé publique), relation directe à la personne malade de l’autre (éthique médicale) ;

– d’autre part, la nécessité toujours d’ouvrir la réflexion au-delà du seul champ de la biologie et de la médecine, et de se confronter au point de vue d’autrui.