S13
Pancréatologie
Chapitre S13-P01-C08
Incidentalomes pancréatiques (Chapitre archivé)
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Un incidentalome pancréatique peut se définir comme une lésion pancréatique asymptomatique, de découverte fortuite sur des examens de biologie ou plus fréquemment des examens d’imagerie, généralement en coupe de type TDM ou IRM [6][10][17].
Cette situation clinique est de plus en plus fréquente, puisqu’elle toucherait près de 30 % des personnes de plus de 70 ans [9], [11]. Ces incidentalomes pancréatiques, souvent kystiques [4], qui représentent aujourd’hui jusqu’à 10 % des indications chirurgicales, recouvrent un très large éventail histologique de lésions [5], certaines totalement bénignes, ne justifiant pas même une surveillance, d’autres particulièrement agressives associées à une survie tous stades confondus autour de 5 % à 5 ans [16]. Il en découle que toute tumeur pancréatique, quel que soit son mode de découverte, nécessite en milieu spécialisé une exploration spécifique, afin de déterminer au mieux sa nature, son histoire naturelle et ainsi adapter sa prise en charge (Figure S13-P1-C8-1).

Stratégie diagnostique
Toute tumeur pancréatique, quel que soit son mode de découverte, nécessite une exploration spécifique en milieu spécialisé afin de déterminer sa nature et son potentiel de dégénérescence, pour adapter au mieux son traitement. Cependant, la démarche diagnostique n’est pas spécifique du caractère asymptomatique de la lésion, mais plus de la nature kystique ou solide de celle-ci, et il faut, au final, tout mettre en œuvre pour avoir un diagnostic aussi précis que possible. Ne pas opérer sans savoir… Ne pas surveiller sans savoir… Seul peut se justifier, pour les lésions kystiques de moins d’un centimètre et de découverte fortuite, une surveillance à un an sans complément immédiat d’investigation.
Bilan clinique
L’interrogatoire doit s’attacher à rechercher des symptômes qui auraient pu être négligés ou mal interprétés par le patient : douleurs dorsales des adénocarcinomes pancréatiques, stéatorrhée de l’insuffisance pancréatique exocrine ou diarrhée hydrique des tumeurs neuro-endocrines fonctionnelles, prise de poids ou troubles neurologiques des insulinomes, lésions cutanées des glucagonomes, apparition ou aggravation récente d’un diabète, antécédents personnels ou familiaux pouvant faire évoquer une pathologie familiale ou syndromique : cancers du sein et de l’ovaire familiaux (mutation de BRCA2), mélanome familial multiple (mutation de CDKN2A/p16), syndrome de Peutz-Jeghers (mutation de STK11/LKB1), pancréatite chronique héréditaire (mutation de PRSS1), syndrome de Lynch (mutation de MLH1, MSH2, MSH3) ou encore syndrome de Li-Fraumeni (mutation de TP53), néoplasie endocrinienne multiple (NEM) de type 1 (mutation de MEN1), maladie de von Hippel-Lindau (mutation de VHL), neurofibromatose de type 1 ou maladie de von Recklinghausen (mutation de NF1) et sclérose tubéreuse de Bourneville (mutation de TSC1 ou TSC2).
Bilan biologique
Le bilan biologique est, au final, peu spécifique et sera orienté par la clinique qui, par définition dans le cadre des incidentalomes, est pauvre. En plus de la lipase, en cas de suspicion d’adénocarcinome pancréatique, peuvent être dosés l’ACE (antigène carcino-embryonnaire) et le CA19-9 ; en cas de suspicion de tumeur neuro-endocrine peuvent être dosés la chromogranine A et la NSE (neurone specific enolase). Le reste du bilan recoupe celui de l’évaluation de l’état général et de l’opérabilité du patient.
Imagerie
L’imagerie est l’élément clef de la démarche diagnostique. Tout d’abord, il ne faut pas hésiter à refaire un examen qui aurait été initialement de qualité suboptimale compte tenu d’épaisseur de coupes trop importante ou de temps d’injection inadéquats. La TDM avec coupes fines centrées sur le pancréas, non injectée, puis avec un temps artériel, portal et tardif est l’examen de première intention. Elle sera complétée, en particulier pour l’étude des lésions kystiques, par une IRM avec injection de gadolinium et séquence de cholangio-pancréato-IRM, et éventuellement séquence de diffusion. Cet examen permettra en particulier d’analyser les relations de la lésion avec le système canalaire pancréatique.
En cas de persistance d’un doute diagnostique, en deuxième intention peut être réalisée une écho-endoscopie, éventuellement avec injection de produit de contraste et réalisation de biopsie ou de ponction du liquide intrakystique pour analyse cytologique, biochimique (ACE et CA19-9) et éventuellement génétique (KRAS, GNAS). Cet examen invasif, nécessitant une anesthésie générale, et très dépendant de l’opérateur, permet une excellente analyse du parenchyme pancréatique et de son système canalaire. La pancréatographie rétrograde endoscopique (CPRE) n’a de nos jours qu’une place très limitée dans l’exploration des incidentalomes pancréatiques.
Histologie
Si une preuve histologique n’est pas toujours indispensable à la prise en charge des lésions pancréatiques, elle peut s’avérer utile pour préciser un diagnostic douteux par biopsie des tumeurs solides (histologie, immunohistochimie, voire séquençage dans un futur proche) ou ponction des tumeurs kystiques (analyse biochimique et cytologique). Cette preuve histologique s’obtient au mieux par ponction sous écho-endoscopie ou, plus rarement, par voie scanographique.
Prise en charge
Principes
La plupart, si ce n’est toutes les lésions pancréatiques (Figure S13-P1-C8-2) peuvent être découvertes sous forme d’incidentalomes. Les travaux récents [10], [17] sur les incidentalomes pancréatiques montrent que près de la moitié d’entre eux représentent des lésions malignes ou à risque de le devenir, justifiant de ne pas banaliser et négliger ces images.

Toute la prise en charge des incidentalomes pancréatiques est sous-tendue par l’évaluation aussi précise que possible de la probabilité de dégénérescence au moment du diagnostic et du risque de transformation au cours du suivi. La prise en charge dépend bien évidemment de la nature de la lésion et de son stade au diagnostic, elle n’est cependant pas spécifique du mode de présentation clinique de la maladie. Nous détaillerons plus en détail la prise en charge des tumeurs intracanalaires papillaires et mucineuses du pancréas (TIPMP) et des tumeurs neuro-endocrines non fonctionnelles asymptomatiques, qui représentent aujourd’hui une part importante des incidentalomes pancréatiques.

Chirurgie ou surveillance
La chirurgie doit théoriquement être envisagée devant toute tumeur maligne ou à risque élevé de le devenir à court ou moyen terme, c’est-à-dire devant un adénocarcinome, une tumeur neuro-endocrine de plus de 2 cm de diamètre, une tumeur solide et pseudo-papillaire, un cystadénome mucineux ou une TIPMP dégénérée ou présentant des facteurs de risque importants de dégénérescence (atteinte du canal principal, taille importante, présence de nodules muraux).
Il faut cependant moduler les indications chirurgicales par la morbi-mortalité de la chirurgie pancréatique, que ce soit une résection d’épargne parenchymateuse (énucléation ou pancréatectomie médiane) ou une pancréatectomie standard (duodéno-pancréatectomie céphalique et spléno-pancréatectomie gauche), et les conséquences fonctionnelles qui restent, même en 2014 et dans des centres experts, très significatives [2], [8] (Figure S13-P1-C8-4).
À l’inverse, une simple surveillance, voire une absence totale de suivi, peut être proposée chez les patients ayant un cystadénome séreux, sous réserve d’un diagnostic certain.
Pour les TIPMP, une surveillance peut aussi être proposée, en particulier pour les TIPMP des canaux secondaires ne présentant pas de critères de malignité. Deux conférences de consensus ont récemment clarifié les indications [3][14] chirurgicales et de surveillance, bien que certaines incertitudes persistent. Dans le cadre du projet TEAM-P (www.teamp.org), une étude prospective de cohorte incluant des TIPMP développées uniquement aux dépens des canaux secondaires, sans signes de transformation maligne, est actuellement en cours. Elle propose un schéma de surveillance (Figure S13-P1-C8-3) fondé sur différents facteurs de risque : antécédent de cancer du pancréas chez un apparenté du 1er degré ou deux apparentés du 2e degré et un âge supérieur à 65 ans ; présence de nodule mural intrakystique de toute taille ; présence d’un canal de Wirsung de plus de 6 mm ; patient aux antécédents de TIPMP opérée avec présence de dysplasie de haut grade sur la pièce ; taille d’au moins 30 mm de la plus grande lésion de TIPMP.


En ce qui concerne les tumeurs neuro-endocrines non fonctionnelles, si autrefois l’indication chirurgicale était la règle, quelle que soit la taille de la lésion, une meilleure connaissance de leur histoire naturelle [7][12][13], à mettre en perspective avec la morbidité de la chirurgie pancréatique dans ces indications [2], permet d’envisager une stratégie de surveillance [15] pour des tumeurs pancréatiques non fonctionnelles sélectionnées de moins de 2 cm, ce d’autant que leur caractère asymptomatique semble être un facteur de bon pronostic [7], malgré un risque d’envahissement ganglionnaire qui peut être évalué autour de 10 % (Figure S13-P1-C8-5).
Conclusion
Des incidentalomes pancréatiques sont de plus en plus fréquemment diagnostiqués. Si certaines de ces lésions sont totalement bénignes et ne nécessitent aucun traitement, près de la moitié sont malignes ou à risque de le devenir, et il faut donc tout mettre en œuvre pour avoir un diagnostic aussi précis que possible. Ne pas opérer sans savoir… Ne pas surveiller sans savoir…
Bibliographie