S27-P01-C03 Pathologies non cancéreuses de la muqueuse buccale (Chapitre archivé)

S27-P01-C03 Pathologies non cancéreuses de la muqueuse buccale (Chapitre archivé)

S27

Pathologie orale et maxillofaciale

Patrick Goudot

Chapitre S27-P01-C03

Pathologies non cancéreuses de la muqueuse buccale

Scarlette Agbo-Godeau

 

ATTENTION : Les informations contenues dans ce chapitre sont susceptibles d’être obsolètes, il existe une version plus récente de ce chapitre.
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La muqueuse buccale normale n’est pas partout la même, fine et lisse sur la face ventrale de la langue et sur la face interne des lèvres et des joues (une ligne blanche en relief, la linea alba en regard de la ligne d’occlusion des dents, est souvent accentuée chez les patients anxieux et bruxomanes), épaisse et adhérente (fibro-muqueuse masticatoire) sur la gencive et le palais tapissant les reliefs osseux (apophyses, raphé, torus) ou formant des crêtes ou papilles palatines, épaisse et hérissée de papilles filiformes et fungiformes sur le dos de la langue, et en arrière de papilles caliciformes marquant le V lingual. Des variations individuelles, non pathologiques, sont observées [9]. Les papilles foliées et les amygdales linguales sont des formations anatomiques nodulaires lymphoïdes situées dans la partie postérieure des bords de la langue, souvent sources d’inquiétude chez certains patients anxieux et cancérophobes. Les grains de Fordyce, glandes sébacées hétérotopiques, situés sur la muqueuse des joues et des lèvres, forment des petits points jaunâtres en « tête d’épingle », parfois groupés en rosettes. Ils augmentent en nombre avec l’âge. Dans la langue géographique, la muqueuse desquame de manière centrifuge délimitant des zones érythémateuses, mais non dépapillées, à bordure blanche un peu surélevée, variables d’un jour à l’autre et parfois sensibles. Aucun traitement n’est nécessaire, ni efficace. La langue fissurée est parfois précédée ou associée à des épisodes de langue géographique, indolore, une sensation d’irritation est parfois décrite, le brossage doux des sillons est recommandé. Elle est fréquente dans la trisomie 21 et fait partie, avec la macrochéilie et la paralysie faciale périphérique, de la triade diagnostique du syndrome de Melkersson-Rosenthal. La langue noire villeuse, souvent considérée à tort comme une mycose, correspond à une hyperplasie avec hyperkératose des papilles filiformes dont la coloration du verdâtre au bleu ou brun noir est secondaire au développement de micro-organismes chromogènes. Sa pathogénie est inconnue, certains facteurs favorisants ont été identifiés comme une antibiothérapie, l’usage excessif d’antiseptiques, le tabagisme. Les prélèvements mycologiques sont habituellement négatifs et les traitements antifongiques inefficaces. Le traitement repose sur le décapage mécanique avec une brosse à langue associé dans certains cas à des applications de rétinoïdes locaux.

Stomatites infectieuses

L’aspect clinique et le contexte général orientent le plus souvent vers l’étiologie bactérienne, virale ou mycosique des stomatites infectieuses.

Stomatites bactériennes

Les stomatites bactériennes sont essentiellement d’origine dentaire. La gingivite simple liée à la présence du tartre est la forme la plus commune, les languettes gingivales sont érythémateuses, puis hypertrophiées et saignent facilement. L’atteinte peut être sévère avec un tableau de gingivite ulcéro-nécrotique, puis de parodontite ulcéro-nécrotique quand l’infection atteint le ligament parodontal puis l’os alvéolaire.

Au cours de la scarlatine, l’énanthème est caractéristique, la langue initialement saburrale desquame à partir des bords latéraux réalisant un V rouge écarlate, vers le 6e jour, la langue est uniformément rouge avec des papilles saillantes, c’est la langue framboisée. Les signes généraux disparaissent, la langue devient lisse avant de reprendre un aspect normal (Figure S27-P01-C03-1).

 

Figure S27-P01-C03-1 Langue géographique.

 

Dans la syphilis primaire, le chancre d’inoculation siège habituellement au niveau du tiers antérieur de la face dorsale de la langue et réalise une érosion ou une ulcération souvent sensible, reposant sur une fine induration, et s’accompagnant d’une volumineuse adénopathie sous-maxillaire. Dans la syphilis secondaire, les lésions linguales prennent l’aspect de petites aires exfoliées, plaques en « prairie fauchée » pouvant ressembler à une langue géographique ou de grandes plages érythémateuses extrêmement contagieuses. Le diagnostic de la syphilis est sérologique.

La tuberculose buccale est rare, le plus souvent chancre d’inoculation chez un patient atteint d’une tuberculose pulmonaire [11]. C’est une ulcération chronique, linguale ou gingivale, douloureuse. Des adénopathies cervicales, une toux chronique avec expectorations, une altération de l’état général sont associées et font suspecter le diagnostic. La biopsie de l’ulcération peut retrouver, mais inconstamment, un granulome épithélioïde et gigantocellulaire avec nécrose caséeuse.

Stomatites virales

Les virus herpès simplex sont, schématiquement HSV1 (oral) responsable des atteintes de la partie supérieure du corps et HSV2 (génital) responsable des atteintes de la partie inférieure du corps [4]. La primo-infection herpétique se traduit dans 10 % des cas par une gingivostomatite aiguë, le plus souvent pendant la petite enfance, mais non rare chez l’adolescent ou l’adulte jeune. La maladie débute par de la fièvre, un malaise général, des douleurs pharyngées et gingivales. Des vésicules rapidement remplacées par des érosions multiples parfois confluentes et polycycliques apparaissent sur une muqueuse érythémateuse. L’atteinte gingivale est constante avec des adénopathies cervicales sensibles. La guérison est spontanée en 2 à 3 semaines. L’herpès récurrent est dû à la réactivation du virus resté à l’état latent après la primo-infection. La fréquence est variable, certains facteurs sont favorisants : stress, fièvre, cycles menstruels, traumatisme, exposition solaire. Les localisations sont nombreuses : lèvres, seuil narinaire, joues, fesses, organes génitaux. La localisation intrabuccale est sous-estimée : gencives, palais. Le tableau classique est le « bouton de fièvre » labial, parfois précédé par une sensation de cuisson ou de prurit, des vésicules groupées en bouquet se forment sur une plage érythémateuse. Les vésicules se rompent puis sèchent, formant une croûte jaunâtre qui tombe en quelques jours.

Au cours de la varicelle, due au virus varicelle-zona (VZV), l’atteinte buccale est constante, plus ou moins étendue. Sur un fond de stomatite érythémateuse, apparaissent des vésicules évoluant vers des érosions arrondies, douloureuses. Le zona bucco-facial est lié à la résurgence du VZV resté à l’état latent au niveau des ganglions sensitifs des nerfs crâniens (zona du nerf trijumeau). Il est plus fréquent chez les patients immunodéprimés : maladie de Hodgkin, traitements immunosuppresseurs, infection par le VIH. L’éruption est parfois précédée d’un syndrome infectieux modéré et de douleurs de topographie radiculaire. L’éruption vésiculeuse intéresse le territoire d’un ou de deux troncs voisins du nerf trijumeau. Le zona du maxillaire inférieur donne des lésions soit dans tout le territoire, soit sur une de ses branches : rameau lingual, rameau auriculotemporal. Le zona du maxillaire supérieur donne une éuption cutanéomuqueuse unilatérale : palais, voile, gencive, joue et lèvre supérieure. Le zona de la branche ophtalmique du trijumeau met en jeu le pronostic fonctionnel visuel.

Le virus Epstein-Barr (EBV) est responsable de la mononucléose infectieuse. Ce virus qui a un tropisme pour les lymphocytes B va rester à l’état latent dans les lymphocytes B et les cellules épithéliales de l’oropharynx. Il est co-facteur du lymphome de Burkitt africain et du carcinome rhinopharyngien en Chine du Sud et en Afrique du Nord. La primo-infection, souvent inapparente, est fréquente chez l’enfant et l’adulte jeune. La symptomatologie classique est une angine, simplement érythémateuse ou érythématopultacée, parfois ulcéronécrotique, son siège de prédilection est amygdalien, des pétéchies palatines peuvent s’y associer ainsi qu’une parotidite non suppurée.

Des adénopathies cervicales, une splénomégalie, une fièvre et une asthénie intense, associées à une hyperleucocytose, dont 60 à 90 % de lymphocytes hyperbasophiles pourraient faire suspecter une leucémie aiguë. La sérologie EBV affirme le diagnostic sur la présence d’IgM (immunoglobulines G) anti-VCA (antigène de la capside virale). Le MNI (mononucléose infectieuse) test, simple et rapide, est moins sensible. La guérison est spontanée en 15 à 20 jours.

La leucoplasie orale chevelue, caractérisée par des stries kératosiques blanchâtres, indolores, disposées verticalement sur les bords latéraux de la langue, rencontrée essentiellement au cours de l’infection par le virus de l’immunodéficience humaine (VIH), est également due à l’EBV. Variable dans le temps, elle ne nécessite pas de traitement spécifique et disparaît avec la restauration de l’immunité sous traitement antirétroviral.

Le cytomégalovirus (CMV) peut provoquer, chez les patients immunodéprimés, des ulcérations buccales caractéristiques, profondes à l’emporte-pièce, douloureuses et chroniques.

L’herpès virus humain type 8 (HHV8) est impliqué dans la survenue de la maladie de Kaposi. L’atteinte buccale se traduit par des plages rouge violacé (palais, gencive supérieure, plus rarement langue et gencive inférieure), indolores, qui s’étendent et s’infiltrent progressivement pour devenir nodulaires puis tumorales et parfois ulcérées. Le diagnostic se discute au début avec des suffusions hémorragiques, puis avec des angiomes, enfin avec des botryomycomes. Les lésions régressent avec la restauration de l’immunité sous traitement antirétroviral.

Les virus Coxsackies sont responsables de stomatites vésiculeuses dont la guérison est spontanée. Dans le syndrome pied-main-bouche (Coxsackie A16), les lésions buccales sont associées à une éruption vésiculeuse de la pulpe des doigts et des orteils ou sur les faces latérales des paumes ou des plantes des pieds. Dans l’herpangine (Coxsackie A2-8, A10), l’atteinte vésiculeuse siège sur les piliers antérieurs des amygdales et sur le voile du palais, respectant les amygdales et la langue.

Les papillomavirus humains (PVH) ont un tropisme pour les kératinocytes des épithéliums malpighiens [7]. Responsables de tumeurs bénignes (verrues, papillomes, condylomes), certains d’entre eux sont associés à des anomalies cytologiques susceptibles de se transformer en carcinomes (néoplasies intra-épithéliales du col de l’utérus, certains carcinomes épidermoïdes de la cavité buccale et de l’amygdale [6]). Les papillomes (verrues pour la peau) sont des élevures de quelques millimètres de diamètre, indolores, à surface kératosique, des verrues digitales sont parfois à l’origine de l’auto-inoculation. Les condylomes acuminés, élevures souvent pédiculées dont la surface est hérissée d’excroissances effilées, sont rares sur la muqueuse buccale, leur transmission est sexuelle. Leur évolution spontanée est variable, ils persistent ou se multiplient, mais peuvent également régresser spontanément. L’hyperplasie épithéliale focale ou maladie de Heck est rare, caractérisée par de multiples papillomes de quelques millimètres de diamètre, siégeant en n’importe quel point de la muqueuse buccale. Elle est fréquente dans les populations esquimau, amérindiennes et d’Afrique du Nord. Elle est due à PVH 13 et PVH 32. L’évolution est chronique, la régression peut être spontanée. Le traitement des lésions dues aux PVH repose sur leur destruction (chirurgie, cryothérapie, laser CO2), mais les récidives sont possibles (Figure S27-P01-C03-2).

 

Figure S27-P01-C03-2 Langue noire villeuse.

Stomatites mycosiques

Les stomatites mycosiques sont le plus souvent dues à Candida albicans [3], levure saprophyte du tube digestif, de la peau et des muqueuses. L’infection est opportuniste à la faveur d’une modification du terrain entraînant un déficit immunitaire local : maladie générale (diabète, endocrinopathie, hémopathie maligne), déficit immunitaire transitoire ou permanent, traitement médical (antibiothérapie, corticothérapie systémique ou locale avec les traitements inhalés) ou affection locale (sécheresse buccale, carcinome buccopharyngé, mauvais état dentaire, prothèses dentaires, tabagisme). Le muguet est une candidose aiguë, caractérisée par une inflammation diffuse se couvrant d’enduits blanchâtres confluants formant des « pseudo-membranes » (joues, palais et voile) qui se détachent au raclage. Les signes fonctionnels sont peu intenses : sécheresse buccale, sensation de cuisson, goût métallique. Une dysphagie importante et des brûlures rétrosternales doivent faire suspecter une extension œsophagienne. La perlèche est une candidose chronique localisée aux commissures labiales (chéilite angulaire) uni- ou bilatérale, la commissure est érythémateuse et sèche ou alors érosive fissuraire, à la fois sur le versant cutané et muqueux. Elle est fréquente chez le patient édenté, favorisée par la macération dans le pli commissural, et peut être entretenue par un tic de léchage. La glossite losangique médiane est aussi une forme chronique qui siège sur la face dorsale de la langue, en avant du V lingual. C’est une plage érythémateuse à surface lisse, rosée, plane ou mamelonnée, grossièrement losangique à grand axe antéropostérieur, avec peu ou pas de signes fonctionnels. Une lésion érythémateuse palatine en miroir est habituelle. Le granulome moniliasique est un bourgeon d’aspect pseudo-tumoral siégeant sur la joue ou sur la langue, difficile à distinguer cliniquement d’un carcinome épidermoïde, nécessitant une biopsie pour un contrôle anatomopathologique.

Le traitement des mycoses buccales est essentiellement local, utilisant des antifongiques (amphotéricine B, nystatine) en solution à garder en bouche avant de les avaler ou non. Le gel buccal de myconazole peut représenter une bonne alternative. En cas d’inefficacité ou chez les patients immunodéprimés, un traitement systémique est instauré (fluconazole). Les formes rebelles sélectionnent des souches résistantes (Candida krusei, C. tropicalis, C. glabrata, etc.).

Manifestations buccales de l’infection à VIH [2]

Elles sont devenues exceptionnelles chez les patients traités, depuis l’utilisation des tri- et quadrithérapies. Elles restent cependant une circonstance de découverte de l’infection par le VIH et se rencontrent à tous les stades de la maladie.

La primo-infection peut être marquée par un rash cutané, au niveau du visage, accompagné d’un érythème de la muqueuse buccale avec des pétéchies, des ulcérations douloureuses ; quelquefois aussi de manifestations neurologiques, paralysie, hypo-esthésie ou névralgie faciale.

Le syndrome lymphadenopathique est défini par la présence d’adénopathies de plus de 1 cm de diamètre, souvent cervico-faciales, il faut en rapprocher les tuméfactions salivaires chroniques, surtout parotidiennes, par hyperplasie lymphoïde.

La phase symptomatique est marquée par la survenue d’infections opportunistes, de lésions tumorales et d’autres manifestations bucco-faciales (salivaires, aphtoses).

Les mycoses buccales, essentiellement candidosiques, sont les plus fréquentes de toutes les infections opportunistes chez les sujets porteurs du VIH. Elles sont rencontrées à tous les stades de la maladie, y compris comme seule manifestation de la séropositivité. Les formes cliniques sont variées, aiguës ou chroniques, la forme pseudo-membraneuse à Candida albicans est la plus fréquente.

Les infections bactériennes peuvent s’exprimer par des infections dentaires, abcès, cellulites particulièrement sévères ; mais surtout elles sont la cause de gingivites ulcéro-nécrotiques extensives et de lyses parodontales aiguës aggravées par la présence de tartre et le tabagisme ainsi que par les polycaries, fréquentes chez les toxicomanes. La thrombopénie chez certains patients s’exprime par des gingivorragies plus ou moins profuses. On rencontre aussi des infections salivaires, parotidites ou sous-maxillites suppurées.

Parmi les infections virales l’herpès récurrent labial est banal, mais on rencontre surtout des formes diffuses semblables aux primo-infections herpétiques ; dans ce cas particulier elles sont itératives et durables. La varicelle et le zona peuvent être rencontrés au niveau de la face, avec une éruption vésiculeuse intrabuccale. Les ulcérations à cytomégalovirus (CMV) sont plus rares.

La leucoplasie orale chevelue est une kératose virale attribuée au virus Epstein-Barr.

Les verrues buccales, isolées ou concomitantes de verrues cutanées, sont dues aux PVH comme d’autres papillomes ou condylomes acuminés. Elles ont tendance à se multiplier et à récidiver. Leur traitement est chirurgical, par électro- ou photocoagulation, ou par cryothérapie.

Les localisations buccales de la maladie de Kaposi (liée à une infection virale à HHV8) précèdent les localisations cutanées chez au moins 30 % des malades.

Une forme d’aphtose géante ulcérant largement la muqueuse buccale est probablement soit due, soit aggravée par la virulence microbienne et requiert en première intention une antibiothérapie à haute dose. En cas d’échec le traitement fait appel à la thalidomide.

Les lymphomes buccaux au cours du syndrome d’immunodéficience acquise (SIDA) sont des lymphomes malins non hodgkiniens de type cellulaire B, de haute malignité, et se présentent sous la forme de tumeurs, d’ulcérations.

La maladie de Kawasaki est une vascularite systémique probablement post-infectieuse qui atteint le jeune enfant avant l’âge 5 ans. Le tableau est celui d’une fièvre éruptive associant une fièvre inaugurale, résistant aux traitements antipyrétiques et antibiotiques, une conjonctivite, un exanthème non prurigineux, un érythème palmoplantaire avec œdème des extrémités suivis d’une fine desquamation de la pulpe des doigts et des orteils très évocateurs. L’atteinte buccale est précoce et évocatrice, la langue est framboisée avec turgescence des papilles, les lèvres sont sèches et fissurées. Des adénopathies cervicales sont fréquentes. La mise en route rapide d’un traitement par immunoglobulines intraveineuse diminue le risque de complication majeure cardiovasculaire (anévrysmes coronariens ++).

Stomatites bulleuses

Une bulle isolée peut être traumatique ou due à une brûlure. Les bulles hémorragiques peuvent révéler une thrombopénie ou survenir au cours de l’angine bulleuse hémorragique. Cette maladie d’étiologie inconnue se manifeste, parfois sur un mode récurrent, par une bulle hémorragique de survenue rapide à la fin d’un repas, siégeant sur le voile du palais ou la langue, pouvant atteindre quelques centimètres et se rompre rapidement, guérissant spontanément. Une atteinte bulleuse buccale isolée peut révéler une dermatose auto-immune (pemphigus, pemphigoïde cicatricielle, épidermolyse bulleuse acquise), ou non auto-immune (érythème polymorphe, syndromes de Stevens-Johnson et de Lyell, érythème pigmenté fixe).

Le pemphigus vulgaire [8] est une maladie bulleuse cutanée et/ou muqueuse rare, de pronostic sévère, dans laquelle le clivage épithélial se produit dans l’épiderme par acantholyse. L’atteinte buccale, inaugurale dans 50 à 70 % des cas, peut rester isolée ou localisée à la muqueuse buccopharyngée pendant toute l’évolution. La rupture précoce des bulles laisse une érosion d’allure déchiquetée à fond rouge violacé parfois entourée de lambeaux de muqueuse décollée. Les lésions buccales prédominent aux zones de frottement (gencives, joues, palais). L’examen histologique confirme le clivage intra-épidermique avec une acantholyse et l’immunofluorescence directe objective un dépôt d’immunoglobulines G et de complément C3 sur les kératinocytes donnant un aspect en « résille ». L’immunofluorescence indirecte permet de titrer les anticorps circulants anti-substance intercellulaire. Le traitement de première intention repose essentiellement sur la corticothérapie générale.

L’atteinte buccale est fréquente dans le pemphigus paranéoplasique, forme rare associée à une prolifération maligne (hémopathie lymphoïde).

La pemphigoïde cicatricielle est une affection auto-immune qui touche préférentiellement les muqueuses (buccale, conjonctivale, génitale, voire laryngée) avec une évolution fibrosante mettant en jeu le pronostic fonctionnel, surtout visuel. Il existe le plus souvent une atteinte prédominante gingivale et palatine, les bulles à toits épais, sont bien tendues, à contenu clair ou hémorragique, ou rompues remplacées par des érosions. L’atteinte gingivale donne un tableau de gingivite érosive, souvent isolée en imposant pour une gingivite inflammatoire, avec un signe de la pince positif [10]. Son principal diagnostic différentiel est le lichen plan gingival. Le diagnostic est histologique avec mise évidence d’un décollement sous-épithélial sans acantholyse, et immunologique avec des dépôts linéaires d’Ig G et de composant C3 du complément le long de la membrane basale ainsi que la recherche d’auto-anticorps antimembrane basale en immunofluorescence indirecte. Seule l’immunomicroscopie électronique permet le diagnostic de certitude en la différenciant des autres types de pemphigoïdes. Les lésions buccales isolées sont traitées par corticothérapie topique, la dapsone est associée en cas d’atteintes multiples et les immunosuppresseurs sont proposés s’il y a une atteinte oculaire.

Les lésions buccales sont moins fréquentes et rarement révélatrices dans les autres dermatoses bulleuses auto-immunes : pemphigoïde bulleuse, dermatose à Ig A linéaire, épidermolyses bulleuses acquises, dermatite herpétiforme.

Dans l’érythème polymorphe buccal [1], les bulles au toit plus résistant intéressent préférentiellement les lèvres et la partie antérieure de la bouche ; la présence de cocardes cutanées typiques est inconstante mais confirme le diagnostic. Maladie d’hypersensibilité, son mécanisme est inconnu, il est parfois post-infectieux (herpès surtout). Histologiquement, il s’agit d’une nécrose intra-épithéliale, l’immunofluorescence directe et indirecte sont négatives. Le traitement est symptomatique, les récurrences liées au virus herpétique peuvent être prévenues si elles sont fréquentes (> 4 par an) par un traitement de fond (aciclovir) (Figures S27-P01-C03-3 et S27-P01-C03-4)

 

Figure S27-P01-C03-3 Papillomes de la lèvre inférieure.

 

Figure S27-P01-C03-4 Brotryomycome de la lèvre inférieure.

 

Le syndrome de Stevens-Johnson et, quand la surface cutanée décollée dépasse 30 %, le syndrome de Lyell (nécrolyse épidermique toxique) sont des toxidermies médicamenteuses (sulfamides, AINS…). De vastes décollements cutanéomuqueux débutent 2 à 3 semaines après le début de la prise médicamenteuse. Il s’agit d’une urgence thérapeutique avec risque vital.

L’érythème pigmenté fixe se manifeste par la survenue de bulles cutanées et/ou muqueuses 10 minutes après une prise médicamenteuse (sulfamides antibactériens, barbituriques, tétracyclines, pyrazolés, chlormézanone, phénacétine) ; la cicatrisation laisse une plage pigmentée ardoisée sur laquelle récidivent les lésions bulleuses à la réintroduction du médicament responsable.

Ulcération buccale unique

L’ulcération buccale unique pose souvent un problème de diagnostic différentiel avec le carcinome épidermoïde. Ses caractéristiques cliniques permettent souvent d’écarter les autres étiologies (aphte, traumatisme, infection, iatrogène…), la biopsie confirme le diagnostic.

Lésions blanches de la muqueuse buccale

La leucoplasie se définit cliniquement par une plaque blanche de la muqueuse buccale qui ne peut être détachée par grattage. Le tabac en est la seule cause identifiable. La leucoplasie idiopathique est exceptionnelle. Les plaques peuvent être homogènes ou inhomogènes mêlant érythème et érosions faisant suspecter une évolution dysplasique, voire carcinomateuse. Les kératoses frictionnelles sont confondues cliniquement avec les leucoplasies. Elles disparaissent en quelques semaines après la suppression de la cause traumatisante ou irritante.

Le lichen plan est une maladie inflammatoire chronique, bénigne, évoluant par poussées. Il peut atteindre la peau, les phanères (poils, cheveux, ongles) et les muqueuses malpighiennes (buccale, génitale, anale et conjonctivale). Le lichen plan habituellement réticulé présente sur la langue une forme de début particulière en plaques plus ou moins arrondies blanc nacré, en « taches de bougie ». Les poussées douloureuses ou érosives sont traitées avec une corticothérapie topique. Après plusieurs années d’évolution, les muqueuses s’atrophient. La surveillance permet de détecter précocement la survenue d’un carcinome associé.

Le white sponge naevus (WSN) est une kératose congénitale à transmission autosomique dominante, réalisant des plaques épaisses blanches parfois desquamantes en lambeaux, indolores. Elles siègent sur les joues et les faces ventrales de la langue. Son pronostic est bénin, aucun traitement n’est nécessaire ni efficace.

Lésions pigmentées de la muqueuse buccale [5]

Pigmentations diffuses

Les pigmentations dites ethniques s’observent chez 40 % des personnes à peau noire, mais également chez des personnes caucasiennes à peau foncée. Ce sont des plages pigmentées marrons plus ou moins foncées qui apparaissent avec l’âge, elles siègent sur les gencives, le palais mais également les joues et la langue. La mélanose tabagique réalise des plages gris ardoisé, sur les joues et les gencives, qui disparaissent avec l’arrêt de l’intoxication tabagique. Le lichen plan pigmentogène est une forme post-inflammatoire du lichen plan se présentant sous forme de réseaux pigmentés, surtout jugaux, souvent associés à un réseau blanchâtre résiduel. De nombreux médicaments (antipaludéens de synthèse, quinidine, minocycline, zidovudine, cyclophosphamide, Misulban…) peuvent être responsables de pigmentations iatrogènes linguales. Il peut s’agir d’une accumulation du médicament ou de l’un de ses métabolites. Les pigmentations métalliques professionnelles, iatrogènes ou domestiques, sont devenues rares. Les pigmentations de causes endocriniennes de la cavité buccale sont essentiellement rencontrées au cours de la maladie d’Addison. Mélanose diffuse brune ou bleutée, labiale, palatine, gingivale, associée à une atteinte cutanée.

Pigmentations uniques

Les tatouages résultent de l’inclusion accidentelle de corps étrangers métalliques dans la muqueuse au cours de soins dentaires (amalgame). Il s’agit dans certains cas de tatouages rituels ou esthétiques (gencives).

Le nævus est rare, macule pigmentée dont l’exérèse est effectuée en raison du diagnostic différentiel avec le mélanome. Le nævus bleu, souvent palatin, a une coloration bleutée particulière, son exérèse est également effectuée pour confirmation anatomopathologique.

Le lentigo siège souvent sur la lèvre inférieure, macule mélanique bénigne mesurant 0,5 à 1 cm de diamètre. Dans la maladie de Laugier, les lentigos sont multiples, et associés à une pigmentation des ongles ou de la pulpe des doigts. Dans le syndrome de Peutz-Jeghers, génodermatose rare à transmission autosomique dominante, les lentigos multiples ont une disposition péri-orificielle (lèvres) et sont associés à une polypose intestinale. Le mélanome buccal est rare, souvent diagnostiqué à un stade tardif, il a un pronostic péjoratif. La localisation maxillaire est la plus fréquente. Au départ petite plage très pigmentée ou polychrome, il va évoluer en surface et en profondeur sous forme d’un nodule tumoral noirâtre puis ulcéré et saignotant.

Tumeurs et hyperplasies bénignes de la cavité buccale

Elles sont variées et souvent distinguées seulement par l’examen histologique.

Les épulis de la gencive sont développées en surface et en profondeur dans le ligament alvéolodentaire. Elles sont pédiculées ou sessiles, leur consistance est ferme, elles sont fibroblastiques et très vascularisées.

L’épulis gravidique, dont le volume peut être important, apparaît vers le deuxième mois de la grossesse, évolue jusqu’à l’accouchement surtout à partir du cinquième mois, et disparaît après l’accouchement. Il récidive lors des grossesses suivantes. L’épulis congénital du nouveau-né est une tumeur de consistance ferme de la grosseur d’un pois ou d’une cerise, située sur la fibromuqueuse gingivale vestibulaire et recouverte d’une muqueuse rouge. À l’histologie, les cellules granuleuses sont identiques à celles de la tumeur d’Abrikossoff.

La tumeur à cellules granuleuses ou myoblastome à cellules granuleuses d’Abrikossoff est une tumeur bénigne qui siège sous la muqueuse de la face dorsale de la langue mobile.

Le botryomycome est un bourgeon charnu cicatriciel exubérant et pédiculé.

Une diapneusie est un nodule sessile ou pédiculé, mou au début, pouvant devenir ferme et scléreux (fibrome), recouvert d’une muqueuse normale. Elle se développe par aspiration de la muqueuse jugale ou labiale, entre deux dents, ou au niveau d’une édentation, ou entre les arcades dentaires. Le traitement repose sur l’exérèse et la correction du facteur favorisant.

Les papillomes sont des excroissances molles rosées ou blanches et kératinisées, d’origine virale (papillomavirus).

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Toute référence à cet article doit porter la mention : Agbo-Godeau S. Pathologies non cancéreuses de la muqueuse buccale. In : L Guillevin, L Mouthon, H Lévesque. Traité de médecine, 5e éd. Paris, TdM Éditions, 2020-S27-P01-C03 : 1-5.