S03-P01-C35 Œdèmes angioneurotiques et angiœdèmes

S03-P01-C35 Œdèmes angioneurotiques et angiœdèmes

Médecine interne

LOÏC GUILLEVIN

Chapitre S03-P01-C35

Œdèmes angioneurotiques et angiœdèmes

Laurence Bouillet
ATTENTION : Les informations contenues dans ce chapitre sont susceptibles d’être obsolètes, il existe une version plus récente de ce chapitre.
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Définition et physiopathologie

Un angiœdème est une infiltration liquidienne localisée des tissus sous-cutanés et/ou sous-muqueux. Cela élimine toutes les infiltrations de substance inerte (tophus, amylose, myxœdème…), les infiltrations granulomateuses (sarcoïdose, syndrome de Melkersson-Rosenthal…) et de cellules malignes (lymphome…). C’est un œdème non inflammatoire. L’œdème est localisé et il faut savoir éliminer les œdèmes diffus qui apparaissent localisés par la pesanteur ou des contraintes mécaniques. L’angiœdème apparaît de manière brutale et disparaît totalement entre les crises qui durent au maximum 7 jours. Il peut être récurrent. Lorsqu’il survient dans les zones où les tissus sont lâches (visage, mains, organes génitaux…), il est très déformant (Figure S03-P01-C35-1). Le terme d’angiœdème ne préjuge en rien de l’étiologie, tout comme le terme d’œdème de Quincke qui n’est que le synonyme d’angiœdème cervicofacial. La prévalence de l’angiœdème (toutes causes confondues) est évaluée à 0,05 % dans la population générale.

 

Figure S03-P01-C35-1 Œdème déformant de la face, de la couleur de la peau, sans prurit. Aspect typique d’angiœdème. Cet aspect ne préjuge en rien de sa cause.

 

L’angiœdème est causé par l’augmentation brutale et localisée de la perméabilité vasculaire. Cette augmentation est secondaire au relargage de substances diverses dont les plus fréquentes sont issues des mastocytes : histamine, leucotriènes… Dans de rares cas, il peut s’agir de bradykinine.

Ces protéines, en se fixant sur des récepteurs spécifiques vasculaires, dissocient les jonctions serrées situées entre les cellules vasculaires endothéliales (dont la VE-cadhérine) et favorisent le passage de liquide du sang vers les tissus adjacents.

Angiœdèmes histaminiques [4], [7]

Les angiœdèmes sont le plus souvent secondaires à une activation mastocytaire IgE (allergie) ou non IgE-dépendante. Dans ce dernier cas, ils sont rattachés à l’urticaire chronique. Les angiœdèmes histaminiques sont associés à l’urticaire (de façon concomitante ou à distance) dans 90 % des cas (Figure S03-P01-C35-2). Dans 10 % des cas, ils sont isolés. Les angiœdèmes allergiques (15 %) sont souvent associés à des signes d’anaphylaxie : bronchospasme, érythème diffus, douleurs abdominales, tachycardie… Ils surviennent dans les minutes qui suivent le contact avec l’allergène. Lors d’épisodes allergiques, la tryptase s’élève et revient à la normale entre les crises.  Les angiœdèmes non allergiques récurrents (85 %) peuvent être favorisés par la prise d’anti-inflammatoires non stéroïdiens, de pénicilline, mais la plupart du temps, ils sont spontanés. Les angiœdèmes histaminiques récurrents non allergiques surviennent souvent chez des patients atopiques, présentant un dermographisme cutané ou porteur d’une pathologie thyroïdienne auto-immune. Comme pour l’urticaire chronique, le bilan paraclinique doit être limité. Parfois, il peut exister un syndrome d’activation mastocytaire qui se traduit au moment des crises par des poussées d’urticaire et d’angiœdème récurrents, des douleurs articulaires, des douleurs abdominales, des céphalées… Il faut, face à ces tableaux cliniques très bruyants, éliminer une mastocytose systémique en dosant la tryptase en dehors des poussées.

 

Figure S03-P01-C35-2 Plaque d’urticaire. Œdème, rougeur et prurit, la lésion ne dure que quelques heures.

 

Certains pensent que l’urticaire chronique, et donc l’angiœdème  chronique,  est une maladie auto-immune ; en effet, dans près de 50 % des cas, des anticorps anti-IgE, ou antirécepteurs des IgE sont retrouvés chez les patients.

Les angiœdèmes histaminiques récurrents non allergiques doivent être traités par des antihistaminiques. La corticothérapie n’est pas un traitement recommandé, d’autant plus qu’elle peut favoriser la chronicité de la maladie.  En cas de crise fréquente, un traitement de fond par antihistaminique doit être prescrit sur le même modèle que le traitement de l’urticaire chronique : antihistaminiques de dernière génération jusqu’à 4 fois la dose de l’autorisation de mise sur le marché (AMM). En cas de résistance, on peut ajouter un antileucotriène. Dans les cas les plus difficiles, l’omalizumab (anticorps anti-IgE) a donné de bons résultats.

Angiœdèmes bradykiniques [2]

Les angiœdèmes bradykiniques sont très rares. Il faut savoir les évoquer face à des angiœdèmes isolés (sans urticaire), résistants aux antihistaminiques (Tableau S03-P01-C35-I). Une crise d’angiœdème bradykinique ne dure jamais quelques heures seulement (au moins 24 heures). Les crises sont parfois précédées d’un rash réticulaire très spécifique (Figure S03-P01-C35-3). Les angiœdèmes bradykiniques peuvent se localiser au niveau des muqueuses digestives et donner des tableaux subocclusifs récurrents de guérison spontanée en 48 à 72 heures. Ils s’accompagnent d’un état douloureux important (échelle visuelle analogique [EVA] > 7 dans 70 % des cas), parfois de malaises hypotensifs, de nausées, de vomissements et de débâcle diarrhéique à la fin de la crise. L’imagerie abdominale (scanner, échographie) montre une ascite et/ou un œdème des parois digestives. L’association d’œdèmes périphériques et de crises abdominales est très spécifique d’un angi-œdème bradykinique. Les angiœdèmes bradykiniques peuvent être associés à un déficit en C1-inhibiteur (Figure S03-P01-C35-4). Aussi, face à une suspicion d’angiœdèmes bradykiniques, il est important de faire le dosage pondéral et fonctionnel du C1-inhibiteur.

 

Figure S03-P01-C35-3 Rash réticulé précédent la crise d’angiœdème bradykinique.

 

Figure S03-P01-C35-4 Diagnostic étiologique des angiœdèmes bradykiniques.
Tableau S03-P01-C35-I Démarche diagnostique étiologique d’un angiœdème récurrent.

Angiœdème bradykinique

Angiœdème histaminique

Urticaire superficielle

Non

Oui, mais non constant

Durée de la crise

Quelques jours

Quelques heures

Crise abdominale

Fréquente

Absente

Contexte

Familial, inhibiteur de l’enzyme de conversion, œstrogène

Atopie, AINS

Antihistaminiques au long cours

Inefficaces

Efficaces

Acide tranexamique au long cours

Efficace

Inefficace

La bradykinine est un petit peptide de demi-vie très courte (quelques minutes). Elle est libérée après la coupure du kininogène de haut poids moléculaire par la kallicréine plasmatique (Figure S03-P01-C35-5). La kallicréine est activée, entre autres par le facteur XII de la phase contact de la coagulation. La bradykinine se fixe sur des récepteurs B2 constitutifs des parois vasculaires. Elle est rapidement dégradée par trois kininases dont la principale est l’enzyme de conversion de l’angiotensine. Cette voie kallicréine-kinine est contrôlée en permanence par le C1-inhibiteur. En cas de déficit en C1-inhibiteur (C1-Inh), il existe donc une augmentation de la susceptibilité à la formation de bradykinine.

 

Figure S03-P01-C35-5 Voie kallicréine-kinine ; voie de synthèse de la bradykinine.

Angiœdèmes bradykiniques associés à un déficit en C1-inhibiteur

On considère qu’il existe un déficit en C1-Inh pathologique lorsque les taux pondéraux et/ou fonctionnels sont inférieurs à 50 %. Le taux de C4 est aussi abaissé (sauf dans de très rares cas).

La grossesse et la prise d’œstrogènes exogènes peuvent induire une baisse du C1-Inh non pathologique. Il faut donc interpréter avec grande précaution les dosages faits dans ces contextes. On différencie deux types d’angiœdèmes associés à un déficit en C1-Inh : les formes héréditaires et les formes acquises. En cas d’angiœdème acquis, il existe souvent (75 % des cas) une baisse du C1q (Tableau S03-P01-C35-II). On peut trouver aussi la présence d’anticorps anti-C1-Inh.

 

Tableau S03-P01-C35-II Diagnostic biologique des angiœdèmes bradykiniques.

Déficit en C1-inhibiteur

C1-inhibiteur normal

Angiœdème héréditaire de type I

Angiœdème héréditaire de type II

Angiœdème
acquis

Angiœdème héréditaire de type III

Angiœdème
aux IEC

Dosage pondéral du C1-inhibiteur

< 50 %

Normal

< 50 %

Normal

Normal

Dosage fonctionnel du C1-inhibiteur

< 50 %

< 50 %

< 50 %

Normal

Normal

C4

Bas

Bas

Bas

Normal

Normal

C1q

Normal

Normal

Bas

 

(70 %)

Normal

Normal

Anticorps anti-C1-inhibiteur

Négatif

Négatif

Positif (50 %)

Négatif

Négatif

IEC : inhibiteur de l’enzyme de conversion ; SERPING1 : gène codant le C1-inhibiteur.

Angiœdèmes héréditaires

Les angiœdèmes héréditaires avec déficit en C1-Inh étaient appelés, il y a encore quelques années, œdèmes angioneurotiques. Il s’agit d’une maladie rare (1/50 000 habitants). Elle se transmet sur un mode autosomique dominant ; dans près de 25 % des cas, il y a une mutation de novo. La plupart des patients sont hétérozygotes pour la mutation ; les cas d’homozygotie sont exceptionnels. Dans 85 % des cas, la mutation sur le gène SERPING1 est responsable de l’absence de synthèse de C1-Inh (angiœdème héréditaire de type I). Dans 15 % des cas, la mutation induit la synthèse d’une protéine non fonctionnelle (angiœdème héréditaire de type II). Du fait de l’hétérozygotie, on s’attend à un taux de C1-Inh à 50 % du taux normal, or il n’en est rien. Les patients ont un taux effondré. Pour l’instant, le mécanisme de cette anomalie n’est pas connu.

L’âge moyen de la première crise est de 12 ans, mais l’enfant peut avoir des crises dès l’âge d’un an. Bien que la transmission soit autosomique, les séries rapportent plus de femmes. En fait, il semble que la maladie soit plus sévère chez les femmes, en partie du fait des états d’hyperœstrogénie endogène (grossesses) ou exogène (pilules œstroprogestatives, traitement substitutif de la ménopause). Les crises durent en moyenne 60 heures, et 50 % des patients ont plus d’une crise par mois. L’atteinte abdominale existe chez 75 % des patients avec un alitement moyen de 50 heures. Les angiœdèmes peuvent aussi toucher le tractus urinaire et les organes génitaux. En revanche, les crises épargnent le parenchyme pulmonaire, et le cerveau, sans que l’on sache pourquoi. L’atteinte des voies aériennes supérieures fait le pronostic de la maladie : en l’absence de traitement spécifique, le risque de décès par asphyxie est de 25 %. Cette atteinte est totalement imprévisible et l’on doit considérer que tout patient est à risques, même les patients asymptomatiques.

Angiœdèmes acquis

Les angiœdèmes acquis sont une maladie exceptionnelle. Ils surviennent de préférence chez les personnes de plus de 50 ans sans contexte familial. La symptomatologie est la même que dans les formes héréditaires. Cette pathologie est souvent associée à une dysglobulinémie d’origine indéterminée, voire à un véritable syndrome lymphoprolifératif qui peut survenir des mois après l’apparition des premières crises d’angi-œdème. Ils peuvent aussi être associés à des maladies auto-immunes (lupus, polyarthrite rhumatoïde…). Plus de la moitié des angiœdèmes acquis sont associés à un anticorps anti-C1-Inh souvent du même isotype que celui de la dysglobulinémie. Le traitement de la pathologie associée, lorsqu’elle existe, fait disparaître en général l’angiœdème. En cas d’angioedème acquis avec anticorps anti-C1-Inh, sans pathologie associée, le rituximab peut donner de bons résultats dans les formes sévères.

Angiœdèmes bradykiniques à C1-Inh normal

Le diagnostic de ce type d’angiœdème est très difficile car, à ce jour, il n’existe pas de test biologique suffisamment spécifique. Celui-ci reste donc clinique (Tableau S03-P01-C35-I). La fréquence élevée des angiœdèmes histaminiques par rapport aux angiœdèmes bradykiniques doit inciter à éliminer les pathologies du mastocyte en premier lieu. Le diagnostic d’angiœdème bradykinique à C1-Inh normal est donc un diagnostic d’élimination.

Angiœdèmes associés aux inhibiteurs de l’enzyme de conversion [5]

Les inhibiteurs de l’enzyme de conversion (IEC) sont devenus depuis 1979 un traitement incontournable de l’hypertension artérielle, de l’insuffisance cardiaque et de la néphropathie diabétique. Leur bénéfice sur la morbi-mortalité est indiscutable. En France, près de 3 millions de patients prennent l’une des 14 molécules commercialisées. Outre leur effet sur le système rénine-angiotensine, l’efficacité des IEC serait aussi liée à l’augmentation du taux de bradykinine (un des plus puissants vasodilatateurs de l’organisme). L’enzyme de conversion de l’angiotensine est en effet une protéase qui dégrade à 75 % la bradykinine. Elle est, d’ailleurs, appelée kininase II. Son blocage par les IEC favorise donc l’augmentation du taux de la bradykinine. Cet effet entraîne malheureusement quelques effets secondaires. La toux, qui est l’un des plus fréquents, est présente chez 10 % des patients. Bien que n’engageant pas le pronostic vital des patients, cet effet secondaire a tout de même pour conséquence l’arrêt du traitement chez 20 % des patients. L’augmentation de la bradykinine présente aussi un autre effet secondaire, plus rare, mais potentiellement fatal. En déclenchant une hyperperméabilité soudaine et localisée via son récepteur B2, constitutif des vaisseaux, la bradykinine provoque un angiœdème. Cet effet secondaire peut être grave, car ces angiœdèmes surviennent préférentiellement au niveau de la bouche (96 %), de la langue (72 %) et du larynx (13 %) avec un risque important d’asphyxie fatale. La survenue d’un angiœdème est imprévisible et peut survenir plusieurs mois après le début du traitement ; le délai moyen d’apparition de la première crise est de 10 mois.

Le critère de gravité de ces angiœdèmes est lié au fait qu’ils ne répondent ni à la cortisone, ni aux antihistaminiques, et très peu à l’adrénaline. Un traitement spécifique est nécessaire, mais son prix élevé fait qu’il n’est pas toujours présent dans les services d’urgence. Or il a été évalué que 17 % des angiœdèmes se présentant aux urgences étaient des angiœdèmes aux IEC. L’incidence de cet effet secondaire a été évaluée à 2 cas pour 1 000 consommateurs par an. Ainsi en France, 6 000 patients par an sont susceptibles de présenter un angiœdème secondaire aux IEC. L’arrêt de l’IEC est impératif car, si le traitement n’est pas arrêté, les crises deviennent de plus en plus fréquentes avec une prédilection pour le secteur ORL. Il s’agit d’un effet de classe, et tout type d’IEC est ensuite contre-indiqué. Cependant, cet arrêt n’élimine pas totalement le risque de récidive : 50 % des patients vont récidiver dans les 6 mois suivant l’arrêt, et ce, quel que soit le nouveau traitement antihypertenseur qui leur a été prescrit. Le défi majeur est d’identifier les patients les plus susceptibles de faire ce type d’effets secondaires. Tout patient sous IEC (ou qui en a reçu dans les six derniers mois) est suspect, surtout s’il est fumeur, s’il a fait de la toux sous IEC (odds-ratio de 9), et s’il prend en plus un inhibiteur de la DDP (dipeptidyl peptidase) IV (l’association augmente le risque de 4,5 fois).

L’alternative aux IEC serait logiquement les sartans (antagonistes des récepteurs de l’angiotensine II). Leur place est sujette à polémique. Les premières études montraient que la prescription de sartans après un IEC s’accompagnait d’un risque de récidive de 9,2 à 10 % d’angi-œdème. Les études plus récentes amènent des éléments rassurants quant au risque d’angiœdème associé aux sartans. Une étude italienne a montré que le risque de récidive d’angiœdème après l’arrêt d’un IEC était identique que l’on prescrive un sartan, un bêtabloquant, un inhibiteur calcique ou un diurétique. Il a été montré que la prise d’un IEC exposait à un angiœdème avec un risque relatif de 3,04 contre 1,16 pour les sartans. De ce fait, il est conseillé d’utiliser avec précaution un sartan chez un patient ayant fait un angiœdème aux IEC.

Angiœdème héréditaire à C1-Inh normal (type III) [8]

Décrit pour la première fois en 2000, des critères de diagnostic viennent d’être établis en 2012 :

– angiœdème récurrent sans urticaire ;

– durée supérieure à 24 heures ;

– histoire familiale ;

– crise touchant la face, le larynx, l’abdomen, la périphérie ;

– début entre la deuxième et la troisième décennie ;

– facteurs déclenchants et/ou aggravants : œstrogènes (grossesse, pilule, traitement hormonal substitutif de la ménopause), IEC ;

– C4 et C1-Inh normal (pondéral et fonctionnel).

– Avec ou sans la mutation sur le gène F12 (mutation présente seulement dans 10 à 25 % des cas).

La physiopathologie de ces angiœdèmes est sujette à débat. La mutation sur le gène F12 pourrait induire une augmentation d’activité du facteur XII, ou lui ferait échapper au contrôle par le C1-Inh. À ce jour, deux mutations sont identifiées. Le mystère reste entier pour les formes sans mutation. D’autres gènes candidats sont en cours d’études, ceux de la kallicréine, des récepteurs B2, des kininases…

On définit trois phénotypes différents :

– les formes dépendantes aux œstrogènes : les crises surviennent uniquement sous pilule et/ou lors des grossesses ;

– les formes sensibles aux œstrogènes : les crises sont révélées et/ou aggravées sous pilule et/ou lors des grossesses ;

– les formes indépendantes des œstrogènes.

La symptomatologie ressemble à celles des angiœdèmes héréditaires à C1-Inh normal ; on relève cependant quelques différences : la proportion de femmes est plus importante, l’âge des premiers symptômes est plus tardif (27 ans) ; la face et les voies aériennes supérieures sont plus souvent touchées. À ce jour, il n’y a pas eu de différence clinique identifiée entre les patients porteurs ou non de la mutation sur le gène F12.

Angiœdèmes non histaminiques idiopathiques

Lorsqu’il n’y a pas de contexte familial, le diagnostic des angi-œdèmes non histaminiques est difficile; certains patients ont un profil clinique comparable à celui des angiœdèmes héréditaires. Il faut cependant éviter le surdiagnostic aux conséquences dramatiques. Le diag-nostic est un diagnostic d’élimination. Ainsi, des critères cliniques ont été établis pour ce type d’angiœdème, a priori bradykinique :

– angiœdème récurrent sans urticaire ;

– durée supérieure à 24 heures ;

– pas de contexte familial ;

– C4, C1-Inh pondéral et C1-Inh fonctionnel normaux ;

– résistance à un traitement au long cours par un antihistaminique (jusqu’à 4 fois la dose de l’AMM).

– efficacité de l’acide tranexamique au long cours.

Prise en charge des angiœdèmes bradykiniques [3]

Traitement de la crise

Les traitements des crises d’angiœdèmes bradykiniques sont très spécifiques. Ils reposent soit sur la substitution en C1-Inh (concentré de C1-Inh, C1-Inh recombinant), soit sur un inhibiteur de la voie kallicréine-kinine (écallantide), soit sur un antagoniste des récepteurs B2 de la bradykinine (icatibant). En France, sont commercialisés :

– deux concentrés de C11Inh, produits dérivés du sang (Berinert®, Cinryze®) ;

– un C1-inhibiteur recombinant, produit dans du lait de lapine (Ruconest®) ;

– un inhibiteur des récepteurs B2 (Firazyr®).

Les crises sévères doivent être impérativement traitées avec l’un de ces traitements. On considère une crise comme sévère si elle met en jeu le pronostic vital et/ou si elle induit une morbidité importante. Ainsi, il s’agit de toutes les crises ORL et/ou touchant la face et la plupart des crises abdominales. Ces traitements sont équivalents en termes d’efficacité et d’effets secondaires. Ils s’administrent tous par voie veineuse sauf l’icatibant qui s’injecte par voie sous-cutanée. Cette modalité d’injection donne au produit un avantage non négligeable : les patients peuvent facilement se l’injecter et ce, n’importe où.

Le risque d’une crise grave avec asphyxie est totalement imprévisible. Tout patient est donc à risque. Cela impose que tout patient dispose à domicile d’un traitement en cas d’urgence. Il est primordial aussi d’éduquer le patient à l’auto-administration.

Prophylaxie à long terme

Certains patients font des crises très fréquentes (plus de trois par mois) ; malgré le traitement à la demande,  le retentissement sur leur vie quotidienne peut être important. Plusieurs études ont montré que les patients ont une altération de la qualité de vie comparable aux allergiques et que cette altération est proportionnelle au nombre de crises. Il existe trois types de traitement de fond :

– l’acide tranexamique qui stabilise la voie kallicréine-kinine. Son efficacité est modérée : seulement 40 % des patients répondent, mais il a le mérite d’être très bien toléré ;

– le danazol qui agit en augmentant la synthèse du C1-Inh au niveau du gène non muté. Son efficacité est très bonne, mais au prix d’effets secondaires métabolites et endocriniens lourds, surtout chez les femmes ;

– le chlormadinone (Lutéran®), progestatif de synthèse, donné en continu qui s’avère, chez la femme, un traitement de fond efficace ; il a le mérite d’être en plus contraceptif.

Le C1-inhibiteur peut être administré au long cours à raison de deux ou trois perfusions hebdomadaires.

Prophylaxie à court terme

Certains événements peuvent déclencher une crise gave : les soins dentaires (même un simple détartrage), les intubations, les fibroscopies… Il est donc recommandé d’appliquer des mesures de prophylaxie en vue de ces interventions. Deux procédures existent :

– en cas de soins programmés, le danazol à haute dose est proposé. Il doit être commencé 5 à 7 jours avant le geste ;

– en cas d’urgence et/ou de soins très à risque, le concentré de C1-inhibiteur est administré dans les deux heures précédant le geste.

Autres causes d’angiœdème

Deux affections principales peuvent être évoquées : le syndrome de Gleich et la vascularite urticarienne. Dans ces cas-là, les angiœdèmes sont rarement isolés et très souvent associés à de l’urticaire et à des signes systémiques.

Syndrome de Gleich [1]

L’angiœdème est d’installation rapide et persiste 7 à 10 jours ; des lésions urticariennes peuvent être associées. Une prise de poids peut être rapportée (14 % du poids normal). Il existe presque toujours un état fébrile. On relève une hyperéosinophilie majeure au moment des poussées et une élévation polyclonale des IgM et des IgE. La biopsie cutanée retrouve dans le derme superficiel un infiltrat inflammatoire périvasculaire fait de neutrophiles et d’éosinophiles. Les poussées sont très cortico-sensibles. Il faut éliminer les diagnostics différentiels : les filarioses, les syndromes hyperéosinophiliques, le syndrome de Wells, la fasciite à éosinophiles et la granulomatose à éosinophiles et poly-angéite.

Vascularite urticarienne [6]

Les angiœdèmes sont décrits chez 42 % des patients ayant cette maladie ; les lésions urticariennes sont quasi constantes ; à la différence de celle de l’urticaire chronique, les plaques ont tendance à durer plus de 24 heures et à laisser parfois des lésions pigmentées. Les patients se plaignent très fréquemment de polyarthralgies et de douleurs abdominales ; des complications pulmonaires, rénales et oculaires peuvent apparaître. La biopsie cutanée retrouve des lésions de vascularite leucocytoclasique.

Il existe deux formes :

– la vascularite urticarienne normocomplémentémique qui a un meilleur pronostic avec peu d’atteintes systémiques ;

– la vascularite urticarienne hypocomplémentémique (vascularite de Mac Duffie) : il existe une activation du complément avec baisse du C1q et parfois la présence d’anticorps anti-C1q ; il n’y a pas de baisse du C1-Inh ; il faut éliminer le principal diagnostic différentiel qui est le lupus érythémateux systémique.

Pseudo-angiœdèmes

Certaines infiltrations du derme peuvent apparaître sous la forme de pseudo-angiœdème. Aussi, face à des présentations atypiques et surtout si l’œdème devient persistant, il faut réaliser une biopsie cutanée qui peut mettre en évidence :

– une infiltration granulomateuse due au syndrome de Rosenthal-Melkersson qui se présente comme un œdème des lèvres, fluctuant puis persistant, parfois associé à une langue plicaturée et à une paralysie faciale.

– une infiltration lymphocytaire monoclonale due à un lymphome cutané.

Conclusion

Le diagnostic d’angiœdème est essentiellement clinique ; il faut s’attacher à recueillir avec précision ses caractéristiques et les autres symptômes qui peuvent l’accompagner. L’angiœdème histaminique est le plus fréquent, mais il faut savoir rechercher des maladies plus rares comme les angiœdèmes bradykiniques devant des atypies.

Bibliographie

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Toute référence à cet article doit porter la mention : Bouillet L. Œdèmes angioneurotiques et angiœdèmes. In : L Guillevin, L Mouthon, H Lévesque. Traité de médecine, 5e éd. Paris, TdM Éditions, 2018-S03-P01-C35 : 1-5.